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Jouer au service de la science

Des jeux vidéo scientifiques montrent que l’homme peut surpasser les ordinateurs — et faire progresser la science. Exemples.

C’est la revanche de l’homme sur la machine. Quinze ans après la cuisante défaite aux échecs de Gary Kasparov contre Deep Blue, à l’heure où le super-ordinateur Watson a triomphé au jeu Jeopardy, des humains résolvent des problèmes qui font échouer les ordinateurs les plus puissants. Comment? Grâce à des jeux vidéo.

Mélanger recherche scientifique et jeu vidéo grand public: l’idée paraît étrange, mais correspond bien à la rencontre de l’essor des sciences participatives et de la «gamification», ce courant qui cherche à rendre ludique les tâches répétitives, l’apprentissage ou encore les habitudes d’achat.

Plus de 50’000 personnes ont déjà joué à Foldit. Ce jeu vidéo scientifique gratuit consiste à résoudre un problème très concret de biochimie: replier correctement des protéines. Cette tâche extrêmement complexe (voir ci-dessous) dépasse parfois les capacités des ordinateurs les plus puissants — mais pas celles des humains.

Lancé en 2008, Foldit accumule les succès et publie ses résultats dans les meilleures revues scientifiques (les équipes de joueurs sont citées comme coauteurs). En septembre 2011, «Mimi» gagne le concours lancé par les créateurs du jeu: replier une protéine participant à la prolifération d’un virus de l’immunodéficience simienne (VIS) et dont la forme échappait, depuis plus de dix ans, aux chercheurs. «La solution trouvée par Mimi nous a permis d’interpréter nos données expérimentales cristallographiques et de déterminer enfin la forme de la molécule», explique le créateur du jeu Foldit, le biochimiste David Baker. Cette réussite n’est pas seulement due au nombre élevé de participants, mais également à la collaboration: les joueurs s’organisent en groupe, et Mimi a pu s’appuyer sur les solutions de ses collègues Spvincent et Grabhorn.

Foldit n’est pas le seul jeu vidéo de biochimie. Phylo se présente comme un simple jeu de plots à aligner mais profite en fait à la recherche en phylogénétique: en comparant des séquences d’ADN observées chez des espèces voisines, les joueurs aident les chercheurs à identifier les mutations survenues dans l’évolution et à mieux comprendre certaines maladies génétiques.

Jeu virtuel, solutions réelles

L’informaticien Adrien Treuille avait participé au développement de Foldit. Il a ensuite créé un autre jeu, Eterna. Les joueurs doivent reproduire une forme donnée en plaçant dans le bon ordre les quatre bases A, C, G et U composant le code génétique. Ils créent ainsi des nouveaux segments d’ARN, un cousin de l’ADN aux fonctions multiples qui contrôle l’expression des gènes, pourrait intervenir dans certains cancers, constitue l’essence des rétrovirus (VIH, hépatite C) et ouvre des pistes pour la découverte de nouveaux antibiotiques.
La particularité du jeu: les meilleures solutions sont systématiquement synthétisées en laboratoire. Contrairement à Foldit qui reste entièrement virtuel, Eterna confronte les joueurs au monde réel. «La communauté des joueurs choisit par un vote quelles solutions seront testées, explique Adrien Treuille. Les séquences sélectionnées sont alors transmises à un laboratoire qui les synthétise et procède à leur analyse.» Le score «réel» — calculé en comparant la forme expérimentale avec la forme désirée — peut d’ailleurs différer du score virtuel. «Certains joueurs s’éloignent parfois des règles du jeu afin de coller le mieux possible à la réalité, poursuit l’informaticien. Ils découvrent de manière intuitive de nouvelles règles à partir de la réalité.»

Au MIT, le neuroscientifique Sebastian Seung vient de lancer Eyewire, une sorte de livre à colorier en 3D qui devrait l’aider dans son projet de connectomique (retracer les connexions neuronales du cerveau). «La science citoyenne peut bénéficier à tous les domaines qui génèrent de grandes quantités de données à analyser, commente le chercheur.

La clé du succès, c’est la motivation, et c’est pour cela que les jeux sont intéressants.» Même si son jeu ne devait rencontrer le succès escompté auprès du grand public, l’effort investi à le développer ne serait pas perdu: «Aujourd’hui, j’engage des étudiants pour tracer à la main les neurones. Le jeu pourrait remplacer le système utilisé, avec l’avantage d’être plus motivant, et donc efficace.»

La machine apprend de l’homme

Ces jeux vidéo scientifiques ne se limitent pas à faire travailler des citoyens à la place des étudiants: ils peuvent également suggérer de nouvelles méthodes pour améliorer les programmes de simulation numérique. Par exemple, les joueurs de Foldit créent des «recettes» (une succession d’opérations exécutables de manière automatique) qu’ils partagent et modifient au sein d’une équipe. Les créateurs du jeu ont observé que la recette la plus utilisée du jeu avait reproduit — de manière entièrement indépendante — une amélioration des algorithmes sur laquelle ils travaillaient. Un signe que les joueurs ne sont pas seulement meilleurs que les machines, mais peuvent parfois rivaliser avec des scientifiques.

Les créateurs d’Eterna étudient également les stratégies utilisées par les joueurs afin d’en extraire, à l’aide de techniques d’intelligence artificielle (l’apprentissage machine) des nouvelles règles sur le comportement de l’ARN. La boucle est bouclée: les humains battent parfois la machine, mais celle-ci peut s’inspirer de leur découverte pour s’améliorer — et dépasser un jour les capacités humaines, pense Adrien Treuille.

Pour l’informaticien, ces jeux scientifiques ne se résument pas à la science. «Ils m’ont appris que certains individus sont extraordinairement doués pour des tâches spécialisées et complexes — bien plus que moi d’ailleurs. La plus grande contribution de ces jeux pour la société pourrait bien être de permettre aux gens de découvrir leurs talents cachés et de les aider à trouver un travail qui leur convient. Nous sommes tous bien plus productifs dans un boulot apprécié, et dans lequel nous nous révélons rapides et efficaces.»

Les meilleurs joueurs ne sont certes pas des biochimistes, mais possèdent un certain profil. Mimi, numéro un à Foldit, a étudié la chimie et travaille dans le soutien informatique alors que son dauphin Paul Dunn, un ingénieur en électricité, conçoit des puces électroniques. Ils disent apprécier l’aspect social: collaborer avec les membres de son équipe, partager ses astuces, assister des joueurs en difficulté. «Je me décrirais comme un introverti, confie Eli Fisker, un bibliothécaire à la retraite qui domine le classement d’Eterna. Mais jouer fait ressortir le meilleur de moi: ouvert et prêt à aider les autres.»
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Replier des protéines, un jeu d’enfant

Après une phase d’entraînement, le joueur de Foldit se trouve confronté à une protéine: une forme longiligne et complexe, faite de bouts d’hélices, de branches et d’ato­mes. Il doit la replier et la tordre à l’aide d’élastiques virtuels et faire pivoter des éléments secondaires. Le score reflète la stabilité de la molécule. Le but: déterminer la forme à partir du contenu.

Le jeu propose aussi la tâche inverse: arranger correctement les constituants d’une protéine (les acides aminés) afin d’obtenir une certaine forme et ainsi une fonction précise. Guidés par les chercheurs, les joueurs ont amélioré au début 2012 certaines parties d’une enzyme et facilité la synthèse d’une molécule 18 fois plus efficace. «C’est l’aspect qui m’excite le plus, souligne l’inventeur du jeu David Baker, car nous pourrons ainsi également concevoir des nouvelles molécules thé­rapeutiques capables d’agir de manière précise sur certaines maladies.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.