LATITUDES

La gestion grippée des réserves de Tamiflu

Alors que certains cantons conservent leur stock de médicaments contre la grippe, d’autres paient pour le détruire. Le feuilleton H1N1 n’est pas terminé. Explications.

Commandé en masse en 2007 et en 2009 lors des pandémies de grippe H5N1 puis H1N1, le médicament Tamiflu est arrivé en fin de vie. Résultat: le canton de Genève vient d’incinérer son stock de 900 boîtes, a révélé la RSR, soit 27’000 francs partis en fumée (lire ci-dessous).

Une décision surprenante: les cantons de Fribourg, Neuchâtel et Vaud conservent, eux, leurs stocks qui s’élèvent respectivement à 5000, 5000 et 21’000 boîtes.

Dans les trois cas, les autorités sanitaires ont demandé en 2010 un nouvel examen de la validité du médicament à son fabricant, Roche. Deux ans de validité supplémentaires ont ainsi été accordés, ce qui permet aujourd’hui de préserver les stocks, jusqu’en 2012 ou 2013.

Le canton de Genève se serait-il débarrassé un peu vite de son médicament? «Non, répond Philippe Sudre, le médecin cantonal délégué. Notre stock n’était plus nécessaire. Ce médicament est disponible en pharmacie et, en cas de nouvelle pandémie, le stock de la Confédération reste toujours disponible. Par ailleurs, une prolongation de la durée de vie du médicament a un coût, puisqu’il faut réétiqueter toutes les boîtes et que le stockage n’est pas gratuit.»

Paradoxalement, dans les cantons où le médicament est conservé, les professionnels de la santé rejoignent parfois la position de Genève: «A quoi cela sert-il de garder le Tamiflu? s’interroge le pharmacien cantonal neuchâtelois Jean-Blaise Montandon. A Neuchâtel, il est stocké dans un endroit qui ne coûte rien et son incinération va, au contraire, coûter de l’argent. Mais en matière de santé publique, cette conservation est discutable. Les dernières études montrent que ce médicament ne sert probablement à rien.»

Un autre médecin cantonal va plus loin: «Aucun canton n’aurait dû acheter du Tamiflu. Lors des pandémies, nous avons fait face à des pressions extrêmement fortes pour acheter ce médicament, quasiment des menaces. Aujourd’hui, je suis davantage choqué par ces achats inutiles que par la destruction.»

La pharmacienne cantonale vaudoise Anne-Sylvie Fontannaz se montre plus mesurée: «Lorsque nous avons acheté du Tamiflu en 2006, il s’agissait d’une stratégie de santé publique pour prévenir une pandémie. Aujourd’hui, jusqu’à preuve du contraire, ce médicament reste recommandé dans le traitement des grippes H5N1 et H1N1. En cas de nouvelle pandémie, nous sommes prêts. Au-delà de 2012, nous pouvons imaginer l’obtention d’une nouvelle prolongation de la durée de vie. A défaut, nous pourrions faire retraiter notre stock par Roche. Un choix payant, mais moins onéreux que de racheter de nouvelles boîtes.»

_______

Une fausse pandémie qui aura coûté cher

Si les cantons du Jura et du Valais n’ont pas voulu révéler la quantité de Tamiflu qu’ils ont achetée, les autres cantons romands ont joué la carte de la transparence. Selon nos informations, le Jura aurait commandé 2000 boîtes, le Valais 10’000. Genève a acquis 900 boîtes, Fribourg et Neuchâtel 5000, Vaud 21’000.

Au prix catalogue, Roche commercialise son médicament 30 francs pièce, mais certains cantons ont obtenu des «prix pandémie» avantageux. Neuchâtel a ainsi payé 120’000 francs ses 5000 emballages, soit 24 francs la boîte. Fribourg s’est mieux débrouillé en réglant à Roche seulement 76’000 francs, soit 15 francs l’unité.

Si la plupart des cantons conservent leur Tamiflu, il est probable qu’ils finiront par le détruire avant utilisation. Ce n’est pas le cas de la Confédération, qui possède un stock tournant de 100’000 boîtes. «Nous n’avons rien acheté, explique Jean-Louis Zurcher, porte-parole de l’Office Fédéral de la santé publique (OFSP). Nous avons réservé auprès de Roche une quantité de Tamiflu dans laquelle nous pouvons puiser en cas de pandémie. Nos boîtes ne seront donc jamais périmées.»
_______

Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.