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Vers une nouvelle guerre froide

Depuis le départ de Gorbatchov, la Russie est humiliée sur tous les fronts: en Europe centrale, dans le Caucase et dans les pays baltes. A la relative «détente» des années Eltsine-Clinton pourrait succéder une phase poutinienne glaciaire.

Vladimir Poutine est un homme «impressionnant», a dit Tony Blair au terme de sa visite au leader russe à Saint-Pétersbourg. Le chef du gouvernement britannique, qui était le premier leader occidental de ce niveau à se rendre en Russie depuis l’abdication du tsar Boris, n’a pas vraiment précisé en quoi il avait été «impressionné». Par les bonnes manières du maître du Kremlin, poli avec les dames et courtois dans les échanges? Ou par la froide détermination de son regard métallique qui annonce à lui seul des lendemains autrement plus complexes dans les relations Est-Ouest?

L’emploi de cette simple formule bipolaire («Est-Ouest»), résonne comme un rappel d’un passé que l’on croyait révolu. Insensiblement, les mesures prises par Vladimir Poutine, notamment dans la réorganisation des services secrets russes, laissent penser que la lune de miel entre les deux «blocs» est terminée. On est certes encore loin de la rhétorique de la confrontation de l’époque brejnévienne, mais plusieurs indices permettent de penser qu’à la Russie molle et anarchique de Boris Eltsine va succéder un régime beaucoup plus difficile à manier.

L’histoire d’amour entre les Russes et Poutine (il sera peut-être élu dès le premier tour de la présidentielle, le 26 mars prochain, avec plus de 50% des suffrages) s’explique par le grand projet politique de celui-ci: laver l’affront subi par Moscou durant la dernière décennie. Depuis le départ de Gorbatchov, la Russie est humiliée sur tous les fronts: en Europe centrale, dans le Caucase et dans les pays baltes.

Il y a un an, le 12 mars 1999, la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque, tous trois anciens membres du défunt Pacte de Varsovie, adhéraient à l’OTAN, en dépit de l’opposition de la Russie qui a vu son ancien ennemi de la guerre froide se rapprocher de ses frontières. Concrètement, le «parapluie» nucléaire américain a été étendu aux trois Etats d’Europe centrale. Pour atténuer l’hostilité russe, l’Alliance a signé avec le Kremlin en mai 1997 un Acte fondateur, accompagné de la création d’un Conseil conjoint, qui donne à Moscou une voix dans les affaires de l’OTAN sans pouvoir de veto.

Mais le niet russe à l’élargissement de l’OTAN aux anciens satellites de l’URSS est réapparu violemment avec la guerre du Kosovo au printemps 1999, qui révélait l’isolement et l’impuissance du Kremlin. Un an plus tard, la blessure n’est pas cicatrisée, loin de là. Selon un diplomate russe cité par l’AFP, «l’élargissement de l’OTAN a eu des effets négatifs aussi bien en termes politiques que militaires. Il a accru la division de l’Europe, notamment depuis l’agression contre la Yougoslavie». Le mois dernier, le général Leonid Ivachov, une des huiles du ministère russe de la Défense, estimait que la volonté de l’Otan de poursuivre son extension en Europe de l’Est «créait les conditions d’une nouvelle guerre froide».

Le vocabulaire utilisé n’est pas nouveau, puisque Boris Eltsine brandissait, à Budapest – c’était en décembre 1994 – le spectre d’une «paix froide». Le camp occidental n’a jamais tenu compte de ces menaces, même s’il reste aujourd’hui prudent et ne prévoit pas d’étudier avant 2002 les neuf candidatures officielles (Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Roumanie, Macédoine et Albanie) à l’Alliance Atlantique.

Cela ne suffira pas à rassurer les Russes. Depuis quelque temps, les relations se sont détériorées entre la Pologne et Moscou. Autrefois alliée indispensable du Kremlin dans la défense du «glacis soviétique» d’Europe de l’Est, Varsovie fait désormais figure de porte-avion favori des Américains en Europe centrale. La position stratégique du pays explique en grande partie l’agacement que suscite côté russe son américanisation diplomatique. La Pologne, qui entretien des frontières avec l’Ukraine, la Lituanie et les pays baltes, ne manque jamais une occasion de plaider devant ses partenaires occidentaux en faveur de l’élargissement de l’Alliance aux trois Etats baltes, à l’Ukraine et à la Slovaquie… Une telle avancée des pions occidentaux était déjà inacceptable pour Eltsine, on imagine sans peine la réaction qu’elle provoquerait chez Poutine.

Dans le Caucase, la Russie lutte pour la survie de son prestige d’antan. La guerre en Tchétchénie, même si ce n’est qu’une partie de l’explication, trouve également ses origines dans la lutte pour le contrôle des oléoducs de la Mer Caspienne. Or dans le grand jeu pétrolier qui se trame à Bakou (Azerbaïdjan) depuis quelques années, Moscou a régulièrement du ravaler sa fierté, à chaque fois qu’une multinationale américaine ou britannique signait un «contrat du siècle» avec les Azéris, en contournant soigneusement la sphère d’influence de la Russie dans la région.

Alors? Les scénarios de crise Est-Ouest ne manquent pas, d’autant plus que, ultime vexation, les Américains se mettent également à exporter… leur police en Europe Centrale, pour y chasser l’ours de Sibérie. Le FBI va en effet ouvrir prochainement une antenne à Budapest afin de lutter contre la mafia russe, laquelle a fait de la capitale hongroise un centre névralgique de ses activités internationales. Quand il parle d’instaurer une «dictature du droit» en Russie, Poutine sait bien évidemment que l’éradication de la mafia est une donnée cardinale de la réussite de son pouvoir fort. Saura-t-il résister à l’oligarchie financière qui soutenait Eltsine? En-a-t-il seulement la volonté? Collaborera-t-il avec l’Occident pour pourchasser cette criminalité économique très dangereuse pour l’ordre internationale? La nouvelle guerre froide sera très différente de la précédente.