GLOCAL

Salaire minimum: vraie chance ou fausse bonne idée?

Quel est l’intérêt d’une rémunération fixée par la loi? Le point avant le scrutin de ce week-end à Neuchâtel et Genève.

Vendeurs, coiffeurs, nettoyeurs: ces professions pourraient voir leur salaire fortement augmenter dans certains cantons si l’initiative pour un salaire minimum est acceptée. Le débat virulent qui oppose patronat et syndicats reste très émotionnel, alors que le salaire minimum n’est «ni une solution miracle pour les working poors ni une malédiction pour l’économie», résume Jean-Marc Falter, chercheur à l’Observatoire universitaire de l’emploi de l’Université de Genève.

En Suisse, 400’000 travailleurs, dont trois quarts de femmes, perçoivent un salaire inférieur à 3’500 francs par mois, soit 10% des salariés. «C’est à eux que s’adresse le salaire minimum, explique le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD). C’est une question de dignité. Nous estimons que le travail doit permettre à chacun de vivre décemment.»

En fait, «le salaire minimum ne permettra pas forcément d’améliorer le quotidien des working poors, tempère Jean-Marc Falter. Une mère seule qui élève trois enfants avec un revenu de 4’000 francs par mois, par exemple, n’en profitera pas. Et pourtant, elle vit en dessous du seuil de pauvreté. Le salaire minimum n’est qu’un outil de redistribution parmi d’autres. En revanche, il limitera la sous-enchère salariale.»

Pour Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d’Unia Genève et responsable du secteur de la construction en Suisse romande, «le salaire minimum permettra de diminuer le nombre de personnes qui bénéficient de l’aide sociale. L’Etat, qui complète les salaires que les entreprises ne veulent pas payer, sera le grand bénéficiaire.»

Reste à fixer le seuil. L’Union syndicale suisse (USS) a lancé, au début de 2011, une initiative pour un salaire minimum légal à 4’000 francs par mois, qui sera prochainement déposée à la Chancellerie fédérale. Les initiatives genevoise et neuchâteloise, soumises au vote le 27 novembre, n’indiquent pas de montant plancher. Mais certains avancent le chiffre de 2’500 francs par mois, soit juste au-dessus des minima sociaux. «Le montant est vraiment le noeud du problème, estime Jean-Marc Falter. Il est impossible aujourd’hui de déterminer quel serait le salaire minimum idéal en Suisse. Un salaire bas n’aura pas d’effets pour les salariés. S’il est trop haut, il risque d’entraîner des répercussions négatives sur l’emploi.»

L’emploi, c’est la principale inquiétude des opposants. «Les pays qui ont un salaire minimum ne sont pas ceux qui ont le plus bas taux de chômage, il suffit de voir le Smic français, raille le PLR Gabriel Barillier, ancien secrétaire général de la Fédération des métiers du bâtiment. Particulièrement en cette période de crise, l’introduction d’un salaire minimum va aggraver le taux de chômage.» Un argument à modérer. Selon le chercheur de l’Observatoire universitaire de l’emploi, la mise en place du Smic a certes, en France, participé à la détérioration du marché de l’emploi, notamment pour les jeunes, mais un tel effet n’a pas été observé au Royaume-Uni.

«L’impact du salaire minimum dépend du montant fixé, et de la compétitivité du marché de l’emploi, explique Jean-Marc Falter. Le mieux serait de faire comme au Royaume-Uni, où le salaire minimum, initialement très bas, a ensuite été augmenté progressivement, sans effet négatif.»

«Afin de compenser l’augmentation des salaires, les patrons vont augmenter certains prix, craint Alessandro Pelizzari, d’Unia. Le salaire minimum n’aura donc qu’un petit effet négatif sur l’emploi. Et il ne devrait pas y avoir de délocalisation d’entreprises puisque les emplois concernés sont généralement dans des secteurs non délocalisables (nettoyage, coiffure, entretien du textile, etc.).»

Autre effet pervers avancé par la droite: un nivellement vers le bas. «Il y a trente ans, 10% des salariés français étaient au Smic, prévient Gabriel Barillier. Désormais, ils sont 16%.»

En Suisse (comme en Allemagne), les salaires sont négociés secteur par secteur dans le cadre de conventions collectives de travail (CCT). Environ 50% des salariés sont couverts par une CCT, mais toutes ne comportent pas un minimum salarial. Et certaines branches, comme la coiffure ou la vente, bénéficient d’une CCT où les salaires minimaux sont en deçà de 4’000 francs. Pour le libéral-radical Gabriel Barillier, «l’introduction d’un salaire minimum risque de faire sauter ce partenariat social. Les associations patronales seront démobilisées et n’accepteront plus de négocier avec les syndicats.»

Une vision catastrophiste qui ne convainc pas Alessandro Pelizzari, d’Unia: «Nous sortons de dix ans de bataille salariale durant laquelle beaucoup de CCT ont été brisées, souligne le syndicaliste. Les patrons n’ont plus la volonté de poursuivre le partenariat social.»

Il existerait pourtant une solution de rechange au salaire minimum: l’élargissement des CCT à l’ensemble des secteurs, avec un salaire minimum par branche. «C’est peut-être la meilleure voie à suivre», glisse le chercheur Jean-Marc Falter.
_______

Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.