La Suisse politique et financière peine à faire son deuil d’un secret bancaire pourtant déjà maintes fois, et très officiellement, enterré. Analyse.
Il semble que non. Que finalement le feuilleton de l’été, ce ne sera pas Micheline Calmy-Rey dansant la polka. Même pas sur l’air palpitant, quoique très seriné, du partira-partira pas. Moins glamour, évidemment, sans bustier léopard ni sac faussement assorti, c’est bien l’austère, l’increvable secret bancaire qui semble tenir la corde.
Deux ans qu’on l’enterre pourtant, deux longues années de funérailles, qu’on jure, qu’on crache et certifie que cette fois, c’est bien fini. Deux ans que le fameux secret a été «assoupli», pour satisfaire aux critères de l’OCDE. Un assouplissement considéré largement comme une fin dernière, comme la mort définitive de cette institution aussi inébranlable, avait-on cru, que le Mont-Cervin ou la salade de cervelas. Car qu’est-ce qu’un «secret assoupli», si ce n’est un secret éventé, autrement dit une absence de secret? Ce qui n’est plus qu’un petit peu secret ne l’est, par définition, plus du tout.
Le Tribunal fédéral ne vient-il pas de blanchir la Finma, l’autorité de surveillance des marchés financiers, qui avait, en 2009 et sous une intense pression, cafté aux Américains 250 noms de gros cachottiers, 250 contribuables US ayant eu recours aux charmes discrets d’UBS et de ses coffres muets?
Une Finma alors certes un peu livrée à elle-même par ce qu’il faut bien appeler la pleutrerie du Conseil fédéral. Si le TF donne raison à la Finma, ce n’est pourtant pas pour d’obscures et vaporeuses raisons de haute morale, mais plutôt de froides considérations bassement policières. En agissant ainsi, en cédant aux menaces américaines, l’autorité financière aurait très probablement évité à UBS et à la Suisse des conséquences encore plus dommageables.
Tout mort, néanmoins, et enterré qu’il ait été, le défunt secret, aujourd’hui, ne semble pas si mal se porter. Si l’on en croit du moins les âpres négociations que mène le département fédéral des finances avec les fiscs anglais et allemand.
Certains, comme le professeur de droit fiscal Henri Torrione s’étonne, dans «La Liberté», qu’on en soit encore à chipoter, à marchander le bout de gras, même si le lard s’appelle ici «impôt libératoire», alors qu’il serait plutôt dans l’intérêt des autorités suisses de «se montrer proactives, signifier aux autres états qu’elles sont dès aujourd’hui prêtes à mettre en pratique» ce qui était convenu, autrement dit les fameux standards de l’OCDE.
Du côté des banques, on tente parfois de s’accrocher encore aux poignées du cercueil, en bloquant les comptes de clients étrangers que la perspective d’accord entre la Suisse et leur pays d’origine pourrait pousser à aller voir ailleurs si l’herbe est plus tendre et l’évasion fiscale moins risquée. Une pratique évidemment sans grand avenir et qui sent furieusement le sapin, comme le martèle Peter Thorne, analyste chez Helvea: «Le secret bancaire, c’est du passé; la Suisse va devoir se faire à cette idée.»
Mais visiblement elle a du mal,la Suisse, et elle ne s’y fait pas, à la mort de l’enfant chéri. Pas plus que ses riches bénéficiaires: l’avocat de quelques-uns des 250 malheureux balancés au fisc américain, se désole ainsi de la décision du TF d’absoudre la Finma. Au motif qu’elle empêche d’attaquer la Confédération en responsabilité.
Enfin, on le sait, le département américain de la justice cherche maintenant des crosses au Crédit Suisse et sans doute, à quelques autres établissements de la place forte helvétique, de moindre envergure mais d’agissements identiques.
Ce qui ne peut signifier qu’une chose: prétendument trépassé lors de l’affaire UBS, le secret bancaire a continué de servir. Toujours dans le même, unique et impérissable but: frauder, et frauder encore. On pourra au moins créditer les banquiers suisses de cela: manquer de scrupule, peut-être, de suite dans les idées, sûrement pas.