KAPITAL

Tunisie et Egypte: les agences pleurent, les touristes rient

Le printemps arabe se traduit en offres très avantageuses pour les vacanciers. Les professionnels du tourisme multiplient les efforts pour relancer la fréquentation.

Une offre à prix réduit, sans l’attroupement habituel de touristes. Voilà les avantages dont bénéficient actuellement les vacanciers qui partent en Tunisie ou en Egypte. En cause, bien sûr, les conséquences du printemps arabe qui continuent d’ébranler l’un des principaux piliers économiques de la région. «En Egypte, la diminution de la fréquentation est de 60% par rapport à la même période de l’année passée, résume Emad Edward, voyagiste à l’agence Fert. Les prix ont quant à eux baissé en moyenne de 30%.»

Pas étonnant, dans ces conditions, que les principaux acteurs du secteur en Suisse entreprennent d’importants efforts promotionnels pour redynamiser ces destinations. «L’ensemble des tour-opérateurs actifs sur la Tunisie et l’Egypte observe un niveau de réservations bas, confirme Jean-Marc Imhof, consultant indépendant pour le compte de plusieurs voyagistes. Seule la mer Rouge et plus particulièrement Charm el-Cheikh, connaissent une faible tendance à la reprise.»

Chez Kuoni, on explique la situation difficile rencontrée par ces pays en évoquant l’actualité libyenne: «L’hésitation à partir est selon nous d’ordre psychologique», note le porte-parole Peter Brun. Pour un départ en juin en Tunisie, l’opérateur a donc baissé drastiquement ses tarifs jusqu’à 50%. Quant à la capacité des vols pour ce printemps et cet été en direction de l’Egypte, elle représente la moitié du niveau de l’année dernière. «Les gens choisissent des alternatives dans la région de la Méditerranée, comme Chypre ou la Crète», poursuit Peter Brun.

L’opérateur Hotelplan — qui propose une semaine en Tunisie dans un 4-étoiles avec demi-pension dès 500 francs par personne — se veut rassurant et met en avant les recommandations du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE ). «Les stations balnéaires en Egypte et en Tunisie ne sont pas concernées par les troubles. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter si l’on souhaite y passer des vacances», relève Prisca Huguenin-dit-Lenoir, porte-parole d’Hotelplan.

Afin de remonter la pente, les organismes touristiques tunisien et égyptien se montrent eux aussi particulièrement entreprenants. L’Office du tourisme de Tunisie va ainsi lancer en Suisse dès mi-mai une vaste campagne de publicité et organise de fréquents voyages de presse destinés à «montrer la réalité» du pays aux journalistes. Il prépare en outre une «Caravane du Jasmin» composée de cinq bus, avec des artistes et des animateurs qui traverseront l’Europe en faisant une halte helvétique à la fin mai.

L’Office du tourisme égyptien n’est pas en reste et a notamment mis sur pied, en collaboration avec six tour-opérateurs romands, un voyage de familiarisation au Caire en mars dernier, destiné à montrer que les principales attractions touristiques locales «fonctionnent normalement».

Mais, au juste, quelle est la situation sur place? De retour d’Egypte, le journaliste spécialisé en tourisme Bernard Pichon confirme avoir particulièrement apprécié la visite des sites archéologiques et des plages, tous deux désertés. Il n’a ressenti aucun sentiment d’insécurité, mais précise qu’il est resté «en dehors des zones pouvant être sensibles» comme le Sinaï ou le centre du Caire.

Sur les routes, il a assisté à quelques contrôles de routine «bon enfant»: «On a supprimé les convois escortés, qui, avant la révolution, avaient pour fonction de rassurer les visiteurs en alignant à la queue leu leu bus et cars. Quant aux forfaits, il y en a de très intéressants, même si les voyagistes ne répercutent pas entièrement sur leurs clients les chambres d’hôtel quasi bradées par les Egyptiens désespérés…»

De son côté, Camille, une jeune Romande partie à Djerba avec ses deux enfants de 5 et 7 ans, n’a constaté aucun désagrément au niveau du service. «Ce qui frappe avant tout, c’est le manque de touristes. Notre hôtel, par exemple, est à moitié vide, alors même que l’accueil est irréprochable. On sent que les gens ont plus que jamais besoin que les touristes reviennent, c’est pourquoi ils redoublent d’efforts au niveau des prix. Tout le monde reste toutefois dépendant de l’évolution en Libye. D’où le sentiment de se trouver dans une sorte d’“entre-deux”.»

Autre changement, favorablement jugé par la population locale cette fois-ci, les contrôles policiers, moins fréquents et plus «relax»: «Un guide m’a indiqué qu’alors qu’il se faisait auparavant arrêter pour un oui ou pour un non, il pouvait maintenant circuler beaucoup plus librement et parler plus ouvertement aux touristes.»

Outre les familles, forcément moins nombreuses qu’avant, et les habitués, le public ayant choisi de se rendre dans la région pour Pâques se compose de curieux et de personnes qui privilégiaient auparavant les régions européennes plus accessibles et qui peuvent désormais s’offrir un voyage vers des destinations plus lointaines. «Les plongeurs, par exemple, se rendent toujours en mer Rouge et même d’autant plus volontiers maintenant car les sites sont relativement préservés», note Jean-Marc Imhof.

Comme l’on pouvait s’y attendre, les événements survenus dans ces pays ont eu pour conséquence un important report sur d’autres destinations. En premier lieu desquelles on trouve la Turquie, la Grèce, Chypre, les Canaries, les îles Baléares, la France ou encore l’Italie, mais aussi des destinations plus éloignées comme les Etats-Unis ou le Canada, «que le taux de change rend très attrayantes», relève Jean-Marc Imhof. Ces offres permettent ainsi aux tour-opérateurs de compenser le manque à gagner lié au Maghreb, en termes de réservations.

Evidemment, les agences spécialisées, comme Air Marin à Genève, sont davantage concernées par cette désertion: «Nous enregistrons une diminution de la demande comprise entre 50 et 70% par rapport à la même période de l’année dernière», souligne le directeur général adjoint de l’agence Michel Vargues, qui s’est rendu il y a peu au Caire et qui y a constaté que la situation sociale s’est «complètement normalisée»: «Ce sont avant tout les symboles du pouvoir qui ont été touchés, dit-il. Les infrastructures fonctionnent sans problème. Il s’agit pour nous à présent de redonner confiance aux gens pour repartir, notamment dès les vacances d’octobre.»

Le chemin vers un rétablissement complet de la situation reste toutefois encore long. Binational suisse-égyptien, le guide spécialisé Emad Edward, relève «un important point d’interrogation» concernant la sécurité en Egypte, «surtout dans les grandes villes comme Alexandrie ou Le Caire». Quant aux autoroutes, «elles ne sont pas encore toutes sécurisées, la structure policière ayant subi d’importantes mutations».

Selon lui, il faudra donc encore un certain temps pour un retour à une fréquentation touristique normale. Notamment en Tunisie, qui n’aurait pas la même habitude de «rebondir» que l’Egypte. Car les milieux du tourisme égyptiens savent depuis longtemps se montrer particulièrement agressifs: «Ils ont réussi par le passé à raccourcir le temps de récupération après chaque attentat», souligne-t-il. Dès lors, le véritable retour à la normale devrait s’opérer d’après lui dès Noël de cette année, «après les élections législatives de septembre et la présidentielle en novembre…».
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.