LATITUDES

Une nouvelle actualité pour Che Guevara

Brandi en drapeaux, portraits ou tee-shirts, le Che est présent parmi les Maghrébins révoltés. Histoire d’un cliché mythique.

Les habitants de Sidi Bouzid ont laissé éclater leur joie lorsqu’ils ont appris le départ de Ben Ali. Mort de ses blessures, Mohamed Bouazizi, l’enfant du lieu, venait de gagner contre le dictateur. «Mohamed est le symbole de la révolution, c’est notre Che Guevara», clame Sofian Dhouibi, l’un de ses concitoyens.

Le Che est un acteur des soulèvements dans les pays arabes. A la télévision, on aura remarqué des jeunes manifestants brandissant son portrait ou portant des tee-shirts à son effigie dans les rues de Tunis. «Il y a beaucoup de barbus dans les rues de Tunis et de sa banlieue, mais ce sont des barbus… guévaristes! Si vous venez à Tunis, vous verrez des milliers de Tunisiens qui se lookent à la Che Guevara. Il y a deux mois, j’aurais trouvé ça un peu dérisoire. Aujourd’hui, je trouve ça terriblement émouvant. Cheikh Guevara!», commente un journaliste tunisien.

Le révolutionnaire marxiste était aussi au Caire. Sur la place Tahrir, des hommes et des femmes ont brandi des portraits de Nasser, de Che Guevara et des drapeaux égyptiens et palestiniens.

Le guerillero sud américain, dont le portrait compte parmi les plus célèbres du monde, a été immortalisé par le photographe cubain Alberto Korda. La scène se déroule le 5 mars 1960, aux funérailles des victimes du sabordage d’un bateau: «Moi, je mitraille systématiquement tous ceux qui entourent Fidel. J’ai l’œil vissé sur le viseur de mon vieux Leica. Soudain surgit du fond de la tribune, dans un espace vide, le Che. Il a une expression farouche. Quand il est apparu, au bout de mon objectif de 90 mm, j’ai eu presque peur en voyant la rage qu’il exprimait. Il était peut-être ému, furieux, je ne sais pas. J’ai appuyé aussitôt sur le déclic, presque par réflexe. Et j’ai “doublé” la prise mais, comme toujours, c’est la première qui était la meilleure. Il n’est resté que quelques instants et je n’ai pris que ces deux uniques photos. Elles ne sont d’ailleurs pas d’une netteté extraordinaire parce que je n’ai pas eu le temps de faire une bonne mise au point», raconte Alberto Korda (cité par Pierre Kalfon dans «Che», Points, Seuil, Paris, 1998, page 338).

Korda ne touchera aucun droit d’auteur pour cette photographie. Il se met cependant en colère en 2000 lorsque la marque Smirnoff utilise son cliché dans une publicité. L’artiste reçoit alors un dédommagement de 50’000 dollars qu’il reverse au système médical cubain en déclarant: «Si le Che était encore vivant, il aurait fait la même chose.»

Aujourd’hui, c’est Jim Fitzpatrick qui tente la même démarche. En 1968, ce designer irlandais se saisissait du portrait de Korda pour le transformer en ce célébrissime pochoir noir sur fond rouge. Plus facile à identifier que Mona Lisa, il fait partie des dix portraits les plus connus au monde. Appliqué sur des paquets de chips ou des slips, le marketing en a fait une arme de séduction. Excédé par une telle «dérive capitaliste» de son oeuvre, l’auteur réclame son copyright.

En septembre s’ouvrira à Cuba un «Centre culturel Che Guevara». Fitzpatrick souhaite, lors de son inauguration, pouvoir jouer les mécènes en versant ses droits d’auteur à la veuve du Che pour financer des projets destinés aux Cubains.

Que des rebelles ou des étudiants utilisent son poster pour protester ou décorer leurs studios ne dérangent nullement l’Irlandais. Mais que des personne s‘enrichissent avec cette image alors que l’argent pourrait retourner à La Havane et financer des hôpitaux pour enfants, par exemple, le fâche. Oui à la présence du Che aux côtés des Maghrébins révoltés, non à sa présence sur des sachets de thé!