LATITUDES

Le mot du mois: WikiLeaks

WikiLeaks? Chaque consommateur médiatique sur la planète connaît ces trois syllabes au moins depuis quelques jours…

… à moins d’être en phase de jeûne protestataire ou d’hibernation réparatrice.

C’est le nom d’un site Internet qui fâche les Etats-Unis et réjouit les défenseurs d’un monde où les informations circuleraient sans contrainte.

Or ce consommateur connaît probablement moins la teneur intime de ce nom propre, et même sa définition précise. Elle est pourtant simple. Un «wiki», c’est un site web dont tout visiteur peut enrichir ou rectifier les pages. Un lieu virtuel de collaboration rédactionnelle et éditoriale permanente.

Bon. Mais le préfixe lui-même, ce «wiki» qui fait un triomphe inégalé sur la Toile avec Wikipédia, MediaWiki, wiki ceci, wiki cela, par exemple «Wiki-Brest, les carnets du Pays de Brest»? Le terme évoqueraient-ils un kiwi retourné? Mais pourquoi ce fruit-là? Et retourné de quelle manière? La pelure à l’intérieur et les pépins dehors? Absurde.

Pour d’autres analystes plus gravement contaminés par l’idiome anglo-saxon, «wiki» serait l’acronyme des vocables «What I know is», une phrase traduisible en français par «Voici que je sais», dont la sonorité rappellera des souvenirs aux pratiquants de la collection «Que sais-je». L’hypothèse est plaisante. Mais friable.

Pour avancer plus sûrement, il nous faut faire un peu d’histoire et de géographie. L’histoire est celle qui nous présente la figure de l’ingénieur américain Ward Cunningham, né le 26 mai 1949. Cet homme, comme beaucoup de pionniers du Net, est un idéaliste. Il veut que tous les internautes puissent partager leurs savoirs et leurs expériences. Il se met au travail et façonne, en 1995, la plateforme participative ad hoc.

Or cette plateforme, il faut la baptiser. Casse-tête. C’est ici qu’intervient la géographie. Cunningham, de passage à l’aéroport international d’Honolulu, s’entend conseiller par un employé d’utiliser le «wikiwiki» pour gagner la ville: ce sobriquet désigne le bus de la ligne T52, parce que «wiki» signifie «rapide» en langue hawaïenne.

Nous voici donc au bout de notre tâche, ou presque. Le suffixe «Leaks», qui complète la construction de «WikiLeaks», se révèle en effet d’un accès simplissime dans tous les dictionnaires d’anglais. Il y signifie la fuite d’eau, ou la fuite de l’information, qui suppose à son tour l’action d’ébruiter.

L’approche sémantique de «WikiLeaks» aura donc dessiné, a contrario, l’image de ce que sont devenus les Etats-Unis en ce début de XXIe siècle. Une forteresse mise en état de dysfonctionnement par l’excès de son pouvoir, au point de plonger dans un état d’incontinence informationnelle, et si pétrifiée dans sa masse qu’elle s’offre aux menées de tous les guérilleros concevables — certains armés de bombes et d’autres d’ordinateurs, pourvu qu’ils soient rapides comme les bus d’Honolulu.