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Adorer la Suisse à Doris

Davantage de centrales nucléaires et d’autoroutes: les milieux économiques frétillent d’aise devant les perspectives que leur ouvre le Conseil fédéral new look.

Donc ils veulent «se revoir», pour «travailler à nouveau ensemble». Entre les présidents radical et socialiste, la pression est vite retombée. Oubliés déjà l’élection du 22 septembre et le psychodrame de la répartition des départements qui suivit, dans un virulent crêpage de chignons. Entre Christian Levrat et Fulvio Pelli, plus question semble-t-il de s’expliquer devant les tribunaux.

large081010.jpgPassée pourtant cette joyeuse guignolade, on commence à entrevoir les conséquences, à deviner le visage que va prendre cette nouvelle Suisse gouvernementale issue d’un grand coup de sac. Une Suisse dont Doris Leuthard paraît désormais la principale timonière.

Dans cette configuration, economiesuisse se sent visiblement pousser des ailes — de grandes ailes de prédateur tranquille, apaisé par l’accession d’un des siens, Schneider-Ammann, au Conseil fédéral. Et surtout par la main désormais mise de la fée Doris sur le juteux et stratégique Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), égaré de si longues, de trop longues années en giron socialiste.

On a vu déjà le président d’economiesuisse, Gerold Bührer, se fendre d’un pense-bête à destination de Dame Leuthard. Histoire qu’elle n’oublie pas — une démocrate-chrétienne, ça peut être tellement tête en l’air — d’aller, vite, à l’essentiel.

D’abord, deux nouvelles centrales nucléaires, et que ça saute: il nous les faut d’ici 2020. Avec Doris aux commandes, ça ne devrait pas présenter trop de complication: en bonne argovienne, elle a l’uranium enrichi dans le sang. C’est donc comme si c’était fait.

Ce tout-au-nucléaire ne doit pas inquiéter. Il ne faut surtout pas y voir malice. Gerold Bührer l’a bien précisé: «Naturellement nous soutenons les énergies renouvelables, mais…» Mais voilà: n’exagérons pas. Les grandes personnes comme Gerold Bührer savent bien en effet que sans nouvelles centrales nucléaires, «nous devenons dépendants de l’étranger pour notre approvisionnment».

Dépendants de l’étranger! L’horreur absolue, le cauchemar suprême. Mais ouf, dans la Suisse à Doris, cette infâmie-là n’aura pas lieu. Circulez les enfants, rangez vos jouets, vos éoliennes, vos petits panneaux. Nous ne sommes pas prêts de tomber dedans.

Dans la foulée, economiesuisse, qui aurait tort de se gêner, souligne l’importance, mieux la fatalité, d’un deuxième tube autoroutier au Gothard. Dans la Suisse à Doris, après le règne de ce maniaque ferroviaire, de ce psychopathe de la grande ligne qu’était Moritz Leuenberger, voici le grand retour du vroum-vroum souverain.

Le mamouth du DETEC, sous la baguette de sa nouvelle cornac blanche, a encore d’autres succulents morceaux à offrir, qui font déjà saliver les idéologues d’economiesuisse. Quelques belles pièces à saisir, vite, à croquer sur place, comme la Poste ou la SSR, à coups de privatisations et de libéralisations plus ou moins transparentes.

On voit bien le formidable paradoxe que nous offre cette douce Suisse à Doris, ce pays centriste au gouvernement majoritairement féminin — en pourcentage, même le gouvernement le plus féminin du monde. C’est pourtant bien cette Suisse-là qui nous promet plus de centrales nucléaires, plus d’autoroutes, plus de concurrence.

Les mauvais esprits et les vilains réactionnaires ne manqueront pas de faire remarquer que si c‘était pour accoucher d’un programme aussi viril, il n’était peut-être pas indispensable de recourir à autant de femmes.