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Le mot du jour: déchéance

En proposant de déchoir de la nationalité française un certain type de criminels, le gouvernement de Nicolas Sarkozy flatte l’électorat national. Un procédé pervers qui n’a pas échappé à notre chroniqueur.

L’Assemblée nationale française investit dans la symbolique lexicale. Elle vient de ragaillardir ce mot considérable qu’est la «déchéance». Une manière de saluer à travers l’Histoire le régime de Vichy, sans doute, qui pratiquait le même vocabulaire et reste cher au cœur de l’extrême droite indigène. Une manière de touiller, aussi, le plus fructueusement possible en termes électoraux, les soubassements les plus vaseux de l’électorat national.

On évoque ici la déchéance de la nationalité française, bien sûr. C’est une mesure qui frappera toute personne, naturalisée depuis moins de dix ans, reconnue coupable d’avoir causé la mort d’un agent de la force publique. Elle est prévue dans le cadre d’une loi qui vient de valoir au président français la couverture de Newsweek, et fortifie sa réputation de catalyseur dans les domaines du racisme et de la xénophobie.

C’est que le vocable est subtil. A première vue, nous sommes en présence d’une notion technique. La «déchéance» désigne en effet le «fait de déchoir», ou «d’être déchu», au point de se retrouver «dans un état inférieur à celui où l’on était». Autrement dit l’on change simplement d’altitude: on cheminait sur le trottoir, on glisse sur une peau de banane et clac, on est par terre.

Or à deuxième vue les choses deviennent plus complexes. Pourquoi? Parce que le terme s’indexe sur une échelle morale. Et que «déchéance» charrie dans sa périphérie les idées d’«abaissement», de «décadence», de «disgrâce», de «décrépitude» ou de «destitution».

Ce mélange des signifiés résume la perversité du pouvoir exercé par le président de la République française. Il dit «déchéance» de la nationalité quand il aurait pu dire «retrait», par exemple, ou «suppression». Mais non. Il dit «déchéance». Et s’il dit «déchéance», c’est pour accréditer subliminalement qu’il existe des Français inférieurs et des Français authentiques, et par conséquent des Français méritant moins de rester français que les autres.

Toute la malignité du procédé consiste en l’occurrence à glisser ce vœu de tri (fondé sur des critères de répulsion) dans un dispositif légal (fondé, dans l’idéal, sur des critères d’appréciation). Il y a là de quoi penser au Père Ubu, qui faisait peser sur ses administrés son caractère indissociablement absurde, cruel, grotesque et cynique.
Et qui aurait pu libeller ses départements administratifs d’une manière aussi vicieuse qu’est nommé de nos jours, au service de la République française, le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire. Il est des chefs-d’œuvre conceptuels qui cocottent.