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Enfin une nouvelle histoire de la Suisse!

Le professeur genevois François Walter publie une synthèse inédite des récents travaux académiques. Une série de livres très accessibles, à déguster par petites tranches.

En 1982, la parution aux éditions Payot de la Nouvelle Histoire de la Suisse et des Suisses orchestrée par le professeur genevois Jean-Claude Favez à la tête d’une escouade de spécialistes avait fait sensation. Quelques mythes (de Guillaume Tell à la neutralité) y étaient ébréchés. Cela révulsa les bonnes consciences conservatrices.

Depuis, la recherche historique a marché à pas de géants. La cause? Le développement des instituts universitaires dont les étudiants et assistants, par le crépitement de leurs claviers, produisent des fleuves de mémoires et de thèses sous la direction de professeurs de plus en plus nombreux.

Fondamentalement utile à la connaissance du passé, cette production est toutefois très éclatée, souvent difficile à connaître, parfois rébarbative en raison du jargon auquel les futurs maîtres ès-histoire se croient tenus de recourir. Laissant en rade le simple amateur, elle s’adresse avant tout à des spécialistes.

Professeur à l’Université de Genève (comme le fut Favez) François Walter s’est courageusement décidé à produire seul une synthèse de ce que trente ans d’expérience dans la recherche et l’enseignement lui ont permis d’appréhender. Pour ne pas étouffer d’emblée le lecteur, il s’est résolu à raconter l’histoire de la Confédération en cinq petits volumes d’environ 130 à 150 pages de lecture facile et agréable.

Après la publication en automne dernier du premier volume, L’Invention d’une Confédération (XVe – XVIe siècles), puis ce printemps du deuxième consacré à L’Age classique (1600-1750), le troisième volume vient d’arriver dans les librairies. Intitulé Le Temps des Révolutions (1750-1830), il saisit dans toute son ampleur l’effervescence novatrice et souvent révolutionnaire d’une période sur laquelle l’historiographie traditionnelle préfère ne pas trop s’arrêter.

Même (ou parce que) très resserrée, une telle synthèse ne se résume pas en quelques lignes. Pour mettre le lecteur en appétit, quelques points forts de la démarche de François Walter devraient suffire. Comme par exemple sa rupture avec la chronologie traditionnelle: au volume consacré à l’invention de la Confédération, qui englobe tant les premières alliances des Waldstätten que les crises religieuses fondatrices du XVIe, fait suite un volume traitant non pas de l’Ancien Régime cher à nos manuels, mais de l’Age classique ou en d’autres termes du baroque. Et c’est bien sûr sous l’Ancien Régime que démarre le Temps des Révolutions.

Les idées forces sont toujours illustrées par l’analyse concrète d’un épisode historique. Le hasard a fait que j’étais en train de lire les pages sur la Restauration quand j’ai regardé le débat Blocher-Pilet sur la TSR. A diverses reprises, Christoph Blocher revint sur le concept de «Vertrag» (concordat, accord) pour définir le rapport de la Suisse à l’Union Européenne. Dans l’histoire suisse écrite et dite en allemand, Vertrag a une résonance très particulière. Ainsi à la chute de Napoléon, l’acte restaurateur de l’Ancien Régime que nous, Romands, connaissons sous le nom de Pacte Fédéral de 1815 se nomme en allemand Bundesvertrag. Il est signé par des représentants indépendants de cantons souverains où chacun reste maître chez soi, sans allégeance à une quelconque autorité supérieure.

Comme en réalité les cantons n’étaient pas plus indépendants en 1815 qu’ils ne le furent en 1803 quand Napoléon s’autoproclama leur médiateur, ce Bundesvertrag ne fut qu’une manière astucieuse de régler quelques problèmes de cohabitation «confédérale» sous le même drapeau. Le Bundesvertrag de 1815 ouvre la voie aux accords multilatéraux entre les cantons pour régler les collaborations en matière économique, financière, commerciale, etc. Tout cela est très compliqué, prend du temps.

    François Walter: Le franc reste l’unité de compte, mais chaque canton frappe ses pièces et admet des monnaies étrangères. La poste est du ressort des cantons sans parler de l’enchevêtrement de mesures multiples de poids — 50 unités différentes! –, de capacité, de longueur et de surface qui rendent les relations économiques très compliquées. Il faut attendre 1835 pour qu’un concordat vise à les rapprocher du système métrique qui s’imposera définitivement en 1877!
    […]Les collaborations entre les cantons sont plus efficaces quand il s’agit de contrôler les personnes. Un concordat de 1819 cherche à régler le problème des Heimatlosen, ces sans-papiers qui errent de canton en canton… (vol.3, p.121-122)

En matière d’accords multilatéraux, la Suisse conservatrice ne manque donc ni d’expérience, ni de traditions. Mais quand il s’est agi de mettre le pays en prise avec son époque, la tradition fut bousculée, c’est ce que l’auteur nous racontera dans le prochain volume intitulé La création de la Suisse moderne (1830-1930).
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«L’Histoire de la Suisse» de François Walter en cinq tomes est éditée par les Editions Alphil à Neuchâtel. Trois volumes ont déjà paru, le tome 4 paraîtra début septembre et le tome 5 en novembre.