LATITUDES

J’ai assisté à l’entraînement de la Roja

La semaine dernière, la station autrichienne de Schruns a accueilli l’équipe d’Espagne avec une ferveur peu commune. Notre chroniqueuse y était. Elle raconte.

Impossible d’ignorer la présence de l’équipe d’Espagne à Schruns. Des kilomètres avant d’arriver dans la station du Montafon, des banderoles rouge et jaune avertissent les automobilistes des hôtes célèbres présents ici durant une petite semaine pour un stage de préparation avant la Coupe du Monde.

L’entrée de la localité est décorée par un arc de triomphe gonflable et des photos géantes de l’équipe championne d’Europe en titre et grandissime favorite du Mondial sud-africain. Un panneau lumineux indique l’heure de l’entraînement. 18h30. C’est trop serré pour aujourd’hui, j’y assisterai demain.

Commençons par dénicher l’hôtel Zimba où je logerai. Parfait, il se situe juste en face de l’hôtel Löwen qui héberge les vingt-trois millionnaires et leur staff. De ma chambre, je serai aux premières loges pour admirer les beaux hidalgos à l’heure des bains de soleil sur leurs balcons fleuris de rouge et de jaune.

Petit tour dans des rues décorées de drapeaux et de bannières célébrant la présence hispanique. Les «bienvenidos!» sont partout. Dans les boulangeries, les pains ont pris la forme de ballons de football. Même l’hôpital a pavoisé. Par acquis de conscience, je pénètre dans le cimetière pour voir si (on ne sait jamais) les tombes n’auraeint pas pris elles aussi les couleurs de l’Espagne.

La rue qui permet d’accéder à l’hôtel Löwen est interdite à toute circulation de 5h à 8h et de 13h à 16h pour ne pas perturber le sommeil des protégés. C’est en piétonne et sous la pluie, que je m’approche du camp retranché. Question décoration, on a frappé fort: à chaque joueur sélectionné, son enseigne sur la façade de l’hôtel. Des centaines de mètres de bâche rouge et jaune ont été déroulés sur le bâtiment et dans son jardin. Un peu las en cet fin d’après-midi, les policiers répartis autour du bâtiment ne s’inquiètent pas de me voir jeter un coup d’œil à l’intérieur de la salle à manger déserte.

Mais je suis ici pour d’autres raisons, je ne vais pas me transformer en paparazzi amateur. Je me contenterai d’observer des rideaux qui s’ouvrent assez tardivement le matin et se referment à l’heure de la sieste. La nuit, une chambre reste souvent éclairée jusqu’au petit matin. Peut être celle de Vincente del Bosque, l’entraîneur, inquiété par les blessures de plusieurs de ses ténors?

La sélection est interdite de Facebook et de Twitter, pour éviter une déconcentration et d’éventuels scandales. Mais je ne trouve aucune trace de consoeurs de Zahia dans les parages. Rien à signaler de suspect sous un ciel plombé.

Les trois entraînements se déroulent dans un froid glacial et sur une pelouse détrempée. Fernando Torres, le beau gosse encore convalescent, n’entre pas sur le terrain. Puyol est tel qu’on l’imagine, un incroyable boute en train. Sergio Ramos aimante les regards féminins. David Villa, petit gabarit, n’est pas mal non plus. Xavi, Fàbregas et Iniesta, les milieux de terrain, affichent une complicité sans faille. Casillas, le gardien, en impose par sa stature. Les acteurs sont là, le spectacle peut commencer.

Ils s’amusent comme des gamins, ces joueurs dont la valeur marchande moyenne est de 23,5 millions d’euros. C’est de loin la plus élevée. Suivent les Argentins (17,6), les Brésiliens (17,4), les Français (15,9). Les Suisses doivent se satisfaire de 4,3 millions. S’ils gagnent le Mondial, les Ibères empocheront chacun une prime de 600’000 euros en guise de bonus.

De partout jaillissent des ballons. Les vedettes s’échauffent en duo d’abord puis forment deux équipes qui se livrent à un match sur une moitié seulement du terrain, sans gardien dans les buts (ceux-ci s’entraînent ailleurs à retenir des bombes). Passes au sol, échanges aériens, accélérations. Que d’agilité et de qualité technique! Mais je ne divulguerai pas mes précieuses observations, je les réserve à Ottmar Hitzfeld… La Suisse rencontrera la Furia Roja le 16 juin prochain.

Jeudi, c’est la Fête Dieu, une célébration très attendue dans cette région à la pratique religieuse intense. Partout des ballons rouges et jaunes. Sur les toits, dans les jardins, sur la route, des femmes en costumes traditionnels célèbrent l’événement. Les pompiers en habits d’apparat s’alignent sous les fenêtres de l’hôtel Löwen. Au loin, une fanfare. J’ai un doute: est-ce pour célébrer Dieu ou les dieux du stade qui vont bientôt quitter la localité?

Entre la messe chantée en latin à neuf heures et l’adieu à la Roja, il faut choisir. J’ai une pensée pour Markus, un adolescent rencontré la veille sur les gradins du stade. Lui n’a pas pu choisir. Ses parents lui ont imposé la messe. A l’heure de la prière, ses voeux pourraient bien avoir comporté un «Seigneur, permettez à mon équipe favorite d’arriver en finale..» L’équipe en question ne compte-t-elle pas un Jesus?