LATITUDES

Des chirurgiens formés sur simulateurs

Désormais, ils peuvent opérer seuls. Mais pour cela, les chirurgiens cardiaques doivent d’abord s’entraîner sur des machines équipées d’organes artificiels qui reproduisent même les situations les plus risquées. Témoignage.

Traditionnellement, la formation d’un chirurgien –- depuis ses premiers pas en salle d’opération jusqu’à sa complète autonomie –- s’effectuait d’un bout à l’autre sous la conduite de collègues plus expérimentés. Mais depuis environ cinq ans, de nouvelles méthodes d’entraînement et de perfectionnement voient le jour, à base d’exercices effectués sur simulateur (un mannequin en plastique inspiré du corps humain).

Ce type de formation se révèle en effet plus adaptée aux techniques opératoires modernes, dites mini invasives, comme l’explique Enrico Ferrari, chirurgien au Service de chirurgie cardiovasculaire du CHUV: «Contrairement aux interventions chirurgicales classiques, telles que les opérations à cœur ouvert où plusieurs personnes interagissent sur le champ opératoire, la chirurgie mini invasive est pratiquée par une personne seule. Du coup, la formation sur un simulateur constitue la meilleure option pour reproduire les conditions de l’opération réelle.»

Dans le cas du docteur Enrico Ferrari, la chirurgie mini invasive a comme finalité le remplacement valvulaire aortique, une intervention qui s’accomplit sans ouverture du sternum ni arrêt du cœur. En raison de leur grand âge (généralement plus de 80 ans), une majorité de patients souffrant d’un rétrécissement de la valve aortique ne peuvent en effet pas subir d’intervention à cœur ouvert. La technique consiste donc à introduire — via une petite incision sous le sein gauche — une prothèse valvulaire à l’extrémité du cœur. La valve artificielle est poussée jusqu’au cœur grâce à un cathéter flexible, puis déployée en lieu et place de la valve malade. Pour le chirurgien, le défi principal consiste à amener puis déployer la valve au bon endroit. Et pour s’entraîner à accomplir cette opération, rien ne remplace l’épreuve du simulateur.

C’est dans les locaux nyonnais de la société Edwards Lifesciences, leader mondial des technologies vasculaires, que s’effectuent les séances sur simulateur. Des chirurgiens et cardiologues de toute l’Europe viennent y acquérir les bases théoriques et techniques pour exercer ensuite de façon autonome dans leurs hôpitaux respectifs. Si le simulateur proprement dit est fabriqué par la société américaine Simsuite, à la pointe de ce marché, Edwards Lifesciences fabrique et fournit tous les ustensiles et prothèses nécessaires à l’opération.

Concrètement, le simulateur recrée le plus fidèlement possible l’environnement d’une salle d’opération. Allongé sur une table, un mannequin équipé d’organes artificiels et doté d’un orifice dans la région du cœur (ou de l’artère fémorale) fait office de cobaye. Des écrans de contrôle, similaires à ceux utilisés en salle d’opération, affichent les données vitales du patient et les images vidéo de la zone opérée (cœur et artères).

Pour faire fonctionner l’ensemble du système, un technicien spécialisé supervise la partie technique. «Un tel simulateur peut se comparer, dans son principe, à ceux utilisés pour former les pilotes de chasse, explique Enrico Ferrari. Il est ainsi possible de simuler des situations d’urgence qui mettent en danger la vie du patient, comme la rupture d’un vaisseau sanguin, par exemple. Les sensations durant l’exercice sont proches de celles ressenties en bloc opératoire, poursuit Enrico Ferrari. Lorsque l’on introduit ou que l’on retire le cathéter, l’effet de résistance est nettement perceptible. Comme dans la réalité, le fait de pousser ou de tirer trop fort peut provoquer des dommages. La machine peut aussi simuler le déplacement incontrôlé de la valve si celle-ci n’a pas été posée exactement au bon endroit.»

«Dès que la chirurgie fait appel à l’imagerie, le simulateur prend tout son sens, souligne Nicole Barraud», responsable communication chez Edwards Lifesciences. Au centre de Nyon, la formation des chirurgiens au remplacement valvulaire aortique s’étale sur une période de quatre mois. Le programme débute par des cours théoriques et se poursuit par des exercices sur le simulateur. Les candidats sont épaulés et supervisés par un chirurgien expérimenté, exerçant déjà de façon autonome dans un hôpital. Une fois le cursus terminé, la société de Nyon assure le suivi dans les différents hôpitaux lors des premières opérations en conditions réelles.

Après avoir suivi une telle formation, le docteur Enrico Ferrari opère aujourd’hui les patients du CHUV concernés par un remplacement valvulaire aortique. Plus d’une trentaine de personnes –- souvent très âgées –- ont déjà pu en profiter avec un taux de succès opératoire proche de 95%.
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Une version de cet article est parue dans CHUV Magazine.