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La mort d’Arkan est regrettable, malgré tout

Le principal artisan de la politique serbe d’épuration ethnique a été abattu samedi à Belgrade. Dommage. Poursuivi pour crime contre l’humanité, Arkan ne sera jamais jugé.

On ne peut pas se réjouir de la mort d’un homme. Quoique… Celui-ci était un salopard de la pire espèce, chef de milice paramilitaire réputé pour sa cruauté, poursuivi pour crime contre l’humanité et pourtant acclamé par nombre de ses concitoyens.

Zeljko Raznatovic, connu sous le nom d’Arkan, a été abattu samedi vers 17 heures à Belgrade en sortant d’un restaurant de l’hôtel Intercontinental où il buvait des verres avec quelques collègues.

Les circonstances de l’attentat – qui a fait deux autres victimes – restent peu claires. Selon des témoins, Arkan aurait reçu une balle dans l’œil gauche et il était encore vivant lors de son admission à l’hôpital. On ignore le nombre d’agresseurs et s’ils étaient masqués.

Toutes les spéculations circulent quant aux motifs de l’attentat: réglement de compte lié à la mafia serbe – qui contrôle trafics de drogue, d’armes et de voitures volées en Europe de l’Est? Vengeance personnelle? Ou élimination d’un témoin gênant qui aurait pu se mettre à table en cas de comparution devant le Tribunal de La Haye?

A Belgrade, on penche pour la troisième hypothèse. On dit même que Slobodan Milosevic aurait commandité l’agression, rapporte le New York Times.

Depuis le début des années 90, Arkan était considéré comme le plus appliqué des artisans de la politique d’«épuration ethnique». D’une élégance tapageuse, il aimait se mettre en scène et parader dans les restaurants de luxe. Il avait profité de l’embargo contre la Serbie et était devenu l’un des hommes les plus riches du pays. Officiellement, il dirigeait une entreprise de glaces et de pâtisseries ainsi qu’un club de foot de Belgrade.

Après avoir été poursuivi pour des attaques de banques dans toute l’Europe pendant les années 70 et 80, il avait siégé au Parlement serbe pendant quelques mois en 1992. Son mariage avec Svetlana, star locale de la chanson connue sous le nom de Ceca, avait été retransmis à la télévision nationale en 1995. Le couple avait deux enfants.

Comment, en cette fin de XXe siècle, un homme aussi sanguinaire a-t-il pu se pavaner de la sorte, mener la grande vie et donner des interviews à CNN et à la BBC depuis l’hôtel Hyatt de Belgrade sans être inquiété? Comment a-t-il pu voyager, notamment en Belgique, alors qu’il était inculpé par le Tribunal de La Haye? Qu’un tel criminel ait pu vivre en toute impunité pendant tant d’années donne une idée du chemin qu’il reste à parcourir à la justice internationale.

Arkan avait dirigé personnellement les viols, tortures et massacres commis par sa milice en Croatie et en Bosnie. Il recrutait ses combattants – les Tigres – parmi les groupes nationalistes serbes et les supporters de l’Etoile rouge, le club de foot belgradois dont il était devenu président.

En 1991, il avait supervisé le massacre de l’hôpital deVukovar où 250 patients, soldats blessés et infirmiers avaient été abattus. Il avait aussi été impliqué personnellement dans les tueries de Dalj, en Slavonie orientale. Selon des sources de l’OTAN, il aurait également participé à l’«épuration ethnique» des Albanais du Kosovo en 1999.

Arkan avait toujours nié avoir participé à des crimes de guerre, mais les charges qui pesaient contre lui étaient suffisantes pour que le Tribunal international de La Haye lancent un mandat d’arrêt à son encontre en 1997. Ce mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité avait été gardé secret jusqu’en mars 1999.

Des rumeurs circulaient selon lesquelles le Tribunal de La Haye aurait tenté de négocier avec Arkan pour qu’il témoigne contre les commanditaires des crimes de guerre en Bosnie et en Croatie. Mais Arkan les avait toujours démenties, comme il niait avoir été impliqué dans ces crimes.

L’homme continuait à mener une vie tranquille et protégée en Serbie. Longtemps considéré comme l’une des rares personnes à qui Slobodan Milosevic et sa femme Mirjana vouaient une confiance absolue, il avait déclaré tout récemment qu’il craignait pour sa vie.

On ne va évidemment pas verser de larmes sur la mort d’Arkan, mais il est regrettable qu’un tel criminel ait disparu sans être jugé. Sa comparution devant le Tribunal de La Haye aurait permi de faire avancer, un peu, la justice internationale.

A Belgrade, chacun s’accorde à penser que l’assassinat de samedi profite avant tout à Milosevic. Le président serbe est lui aussi poursuivi pour crime de guerre par la justice internationale.