LATITUDES

Internet, le grand supermarché du Viagra

De plus en plus d’hommes souffrant d’impuissance achètent leurs médicaments en ligne. Moins chères, ces copies ne sont pas sans danger. Enquête.

Pour résoudre leurs problèmes d’érection, les Suisses ne prennent pas rendez-vous chez le médecin. Ils vont sur internet. En trois jours d’enquête, onze bureaux de douane ont découvert, parmi 621 colis douteux de médicaments, 285 envois de produits contre l’impuissance.

Cette opération de grande ampleur, appelée «Mediwatch», s’est effectuée en juin à la demande de l’Organisation mondiale des douanes, qui souhaitait évaluer le problème dans plusieurs pays. En Suisse, les médicaments envoyés par La Poste provenaient majoritairement d’Inde et de Hong-Kong.

«Nous n’avons pas été surpris par ces résultats, indique Blaise Marclay, inspecteur à l’Administration fédérale des douanes et spécialiste de la lutte antifraude. Ces chiffres sont conformes à ce que nous avons l’habitude de constater. Mais, même si les contrôles ont été multipliés à l’occasion de Mediwatch, nous n’avons pas pu tout intercepter. Ces résultats sont sûrement très inférieurs à ce qui circule en réalité.»

Un tiers des Suisses affirme avoir régulièrement des pannes sexuelles; c’est autant de consommateurs potentiels de pilules bleues contrefaites. Depuis quelques mois déjà, Swissmedic s’alarme de la hausse massive des importations illégales de médicaments. Elles ont augmenté de 92% entre le premier semestre 2009 et celui de l’année précédente. Le simili-Viagra, Cialis ou Levitra représente 24% de ces fraudes. Ces copies sont-elles efficaces? Tous les cas de figure sont possibles, y compris le placebo et le produit nocif.

Mais pourquoi ces molécules douteuses ont-elles tant de succès sur la Toile? «Leur prix, avance Bernard Scherz, responsable du contrôle des importations de médicaments dans la Confédération. Ces comprimés sont encore sous brevet. En Suisse, une pilule coûte entre 15 et 20 francs et n’est presque jamais remboursée. Sur l’internet, elles valent dix fois moins. En plus, c’est très facile à faire. Vous tapez Viagra sur Google, et il y a 100’000 réponses!»

En effet, la manipulation n’a rien de complexe. Il suffit de cliquer sur un message de spam ou de chercher sur l’internet pour trouver des dizaines de pharmacies factices qui vendent ces molécules soi-disant miracles. Sur les forums de discussion, les internautes s’entraident en comparant les différentes pastilles; ils conseillent plutôt celles venant d’Inde ou de Thaïlande. L’anonymat du réseau leur évite en outre d’aborder leur panne avec un médecin.

«Ce comportement est vraiment imprudent, avertit Valérie Legrand-Germanier, spécialiste santé à la Fédération romande des consommateurs. Au mieux, ces cachets sont inopérants; au pire, ils sont dangereux.» Même mise en garde de la part de Farshid Fateri, urologue à Fribourg: «Ces produits peuvent contenir des molécules nocives. Même s’ils sont bien dosés, ils peuvent être contre-indiqués pour certains patients. En cas de problème d’érection, le mieux est d’aller voir un médecin.»

Les petits budgets devront s’armer de patience pour s’envoyer en l’air sans payer une fortune. En 2012, les laboratoires Pfizer, qui produisent le Viagra, verront leur brevet expirer. Et les génériques à bas prix envahir le marché — légalement, cette fois.

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Trafics juteux de pilules bleues

«Vente de Viagra de Thaïlande de très bonne qualité et pas cher… Chaud sous la couette! Je vous le livre directement et gratuitement.» Cette petite annonce sur l’internet confirme les soupçons des douaniers suisses: le Viagra vendu en ligne fait l’objet de commerces illégaux, mais lucratifs. «Aujourd’hui, il est plus rentable de revendre 20 francs des cachets payés 15 centimes que de faire du trafic de drogue, affirme Bernard Scherz. Certains pharmaciens en profitent. Récemment, il y a eu des arrestations au Locle et à Nyon.» Si la justice prouve qu’il y a malversation, le coupable encourt une peine pénale.
La question du trafic de médicaments est encore plus problématique dans les pays du tiers-monde. Depuis Cotonou (Bénin), Jacques Chirac a proposé une conférence internationale à ce sujet, qui constitue, pour l’ancien président français, une «urgence de santé publique».

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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.