KAPITAL

La clé du succès de Kaba? Ce ne sont pas les clés

Le géant suisse du contrôle d’accès s’est diversifié dans l’électronique et les nouvelles technologies. Ses systèmes de sécurité équipent aujourd’hui les grandes entreprises du monde entier. Portrait d’une entreprise novatrice.

Le point commun entre les locaux du Pentagone, l’aéroport de Zurich et le métro de Hong Kong? Il en existe au moins un: dans ces lieux fréquentés, comme pour des milliers d’autres infrastructures à travers le monde, la firme suisse Kaba assure le contrôle sécurisé des accès.

Car, en effet, on ne le sait que trop peu, il y a longtemps que le leader suisse des clés ne fabrique plus uniquement des clés… L’entreprise séculaire basée à Rümlang (ZH), qui emploie aujourd’hui près de 8000 personnes dans plus de 60 pays, a fortement diversifié ces activités au cours des deux dernières décennies.

Elle propose aujourd’hui une large palette de produits, allant des systèmes de fermeture mécanique et électronique aux interfaces de communication pour la sécurité informatique, en passant par les commandes de portes automatiques. Des produits susceptibles d’intéresser aussi bien les entreprises que les administrations, les hôtels ou les particuliers.

Malgré la crise conjoncturelle, et l’écroulement du marché de la construction aux Etats-Unis, Kaba parvient à maintenir le cap. Le chiffre d’affaire du groupe s’est certes réduit de 10,6% à 1,17 milliards de francs pour l’exercice clos à fin juin, mais le cash flow s’est lui amélioré de 16% à 157,5 millions de francs. L’entreprise a consenti d’important effort de restructuration en supprimant près de 1’500 postes, principalement en Chine et aux Etats-Unis.

Fondée en 1862 par Franz Bauer, l’entreprise Kaba a d’abord construit sa réputation en vendant des clés, des armoires blindées et des coffres forts. Coup de génie en 1934, quand la marque zurichoise met sur le marché la première clé réversible, utilisable dans n’importe quel sens dans la serrure. «Cette innovation a établi un standard copié dans le monde entier», relève Rudolf Weber, actuel CEO de Kaba.

Mais l’étape décisive intervient en 1988, avec l’acquisition de l’entreprise allemande Benzing Zeit + Daten, spécialisée dans les systèmes d’accès électroniques (machines à timbrer), qui amorce une nouvelle ère pour l’entreprise zurichoise. En 1990 déjà, Kaba étrenne la technologie RFID (Radio frequency IDentification), un système d’identification par puce, sans contact physique, devenu depuis un standard international.

Restait à Kaba de s’imposer sur le continent américain. Cette ambition va se réaliser dès 2001, avec le rachat du géant canadien Unican Security Systems, l’un des leaders du marché, pour 1,1 milliards de francs. Enfin, l’acquisition du chinois Wah Yuet en 2006 va permettre de renforcer les capacités de production.

Le grand public, y compris en Suisse, ignore presque tout ces développements, ce qui n’étonne pas vraiment Rudolf Weber: «Il s’agit d’un phénomène courant quand de grandes marques changent de modèle d’affaire. Prenez IBM, beaucoup de gens s’imaginent qu’ils vendent simplement des ordinateurs, alors que le cœur de leur business s’articule aujourd’hui autour des services et des logiciels informatiques. Pour ce qui concerne Kaba, saviez-vous par exemple que les deux tiers des bancomats installés dans le monde sont équipés par nos soins (ndlr: coffre et mécanisme de distribution des billets)?»

Les exemples du genre ne manquent pas, tout comme les réalisations grandioses où la firme suisse est mandatée. Qu’il s’agisse des nouvelles portes d’accès à la plateforme de la Tour Eiffel, du système de sécurité du Casino MGM CityCenter de Las Vegas ou celui du Shangaï Center, futur plus haut gratte-ciel du monde (632 m), Kaba veille sur les locaux les plus en vue de la planète.

Ce positionnement haut de gamme distingue d’ailleurs l’entreprise zurichoise sur le marché de la sécurité, comme l’explique Reto Hess, analyste financier chez Credit Suisse: «Avec 3% de parts de marchés, Kaba arrive en troisième position au niveau mondial, derrière l’Américain Ingersoll Rand (8%) et le leader Suédois Assa Abloy (13%). Par rapport à ses principaux concurrents, Kaba se concentre davantage sur les produits premium.»

Une évolution logique, puisque Kaba investit chaque année près de 4% de son chiffre d’affaire en recherche et développement (R&D), «le double de nos concurrents», selon Rudolf Weber. Au final, l’investissement annuel moyen oscille entre 30 et 35 millions de francs. Stratégie payante aussi en termes de notoriété: l’an dernier, la firme suisse a ainsi reçu le premier prix des Security Innovation Award pour son système «TouchGo», une solution de contrôle d’accès révolutionnaire qui permet de déverrouiller une porte fermée par simple toucher sur la poignée, à condition de porter sur soi un transpondeur. Le système utilise la charge électrostatique naturelle du corps humain pour communiquer les informations, sans nécessiter de présenter directement une clé, un badge ou un transpondeur.

«Cette technologie laisse les mains libres aux utilisateurs, c’est la tendance que prend la sécurité d’aujourd’hui: une sécurité très efficace mais qui ne se voit pas, résume Rudolf Weber. Le même défi s’applique aux lieux publics, tels que les stades de football, par exemple, pour lesquels nous développons également des systèmes d’accès, sans que les gens ne se sentent freinés ou surveillés.»

La technologie «TouchGo» doit être déployée à grande échelle au cours des prochains mois. Pour l’heure, seuls des établissements pilotes ont été équipés. C’est notamment le cas du Centre allemand de recherche sur le cancer, à Heidelberg. «Pour des personnes âgées ou handicapées, une telle technologie présente un avantage évident au quotidien.»

À se demander si la clé traditionnelle n’est pas condamnée à disparaître… Une évolution radicale à laquelle le CEO de Kaba ne croit pas: «Il existe une limite psychologique car les gens restent attaché au geste, au fait de sentir la clé tourner dans le cylindre.» L’an dernier, le marché des clés, cylindres, coffres et verrous à l’ancienne représentait encore près de la moitié du chiffre d’affaires de la firme suisse.

Tous produits confondus, les Etats-Unis représentent pour Kaba le premier marché (24% des ventes), suivi de la Suisse (18%) et de l’Allemagne (9%), et loin devant les autres pays. La crise américaine a donc laissé quelques traces. «La forte baisse de la demande dans le secteur des constructions résidentielles a pesé, note Serge Rotzer, analyste financier chez Vontobel, qui n’entrevoit «pas de redressement notable avant la fin 2010».

«Du côté des Etats-Unis, il semble que l’on arrive au bout du tunnel, mais la situation économique en Europe demeure plus incertaine, admet Rudolf Weber. L’année à venir représente un challenge.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Bilan.