L’Association suisse des cadres attend des ORP une prise en charge capable de répondre à des besoins particuliers. Des solutions existent.
Ils n’ont rien pu faire pour moi: c’est une rengaine commune des managers qui ont eu affaire aux Offices régionaux de placement (ORP) lors d’une période de chômage. Cette responsable d’un service clients dans une multinationale en garde un très mauvais souvenir: «Ma conseillère voulait me forcer à accepter un poste d’assistante junior. J’ai préféré sortir du chômage en vivant de mes économies.» Financés par l’assurance chômage, les ORP sont chargés depuis leur création dans les années 1990 de soutenir et contrôler les sans-emploi, en mettant tout en œuvre pour les réinsérer rapidement.
«Depuis dix ans, nous avons développé toute une série de mesures du marché du travail qui ont permis de diminuer la durée du chômage», explique Serge Gaillard, directeur de la division du travail au Secrétariat d’Etat à l’économie. Malgré ces efforts louables, pour Bernard Briguet, directeur romand de l’Association suisse des cadres (ASC), «ces offices ne sont pas compétents pour la prise en charge des managers. Ils n’admettent pas que ces profils ont des besoins spécifiques.»
De fait, les personnes qui ont occupé des fonctions dirigeantes nécessitent souvent une vision internationale du marché du travail, alors que les ORP possèdent un mandat régional. Ensuite, surtout en temps de crise, les conseillers en personnel sont surchargés: ils suivent jusqu’à 150 dossiers par mois. «Il n’est alors pas possible de faire un bilan pour un manager qui possède quinze ans d’expérience et souvent un parcours international, en une demi-heure, avec 6 personnes qui attendent derrière la porte», poursuit le directeur romand de l’Association suisse des cadres.
Un manager qui perd son emploi subit une chute de pouvoir d’achat particulièrement importante, car si les indemnités de chômage s’élèvent à 70% (80% avec des enfants à charge) du dernier salaire, le gain assuré est plafonné à 8900 francs mensuels. Cela pose des problèmes pour les frais fixes (loyers, etc. ) et nécessite de changer rapidement ses habitudes, avec des conséquences sur son réseau social, sa famille, etc. «Au lieu de bénéficier d’une écoute différenciée, le cadre au chômage se retrouve face à un fonctionnaire qui gagne 6500 francs par mois, qui ne comprend pas pourquoi son interlocuteur n’accepte pas de gagner 100’000 francs de moins par an», résume Bernard Briguet.
Autre besoin impératif du responsable en recherche d’emploi: la discrétion. Or l’environnement des ORP, avec ses files d’attente et son va-et-vient continuel, se révèle très gênant. «On en arrive à des situations inappropriées où un manager qui gérait une dizaine de personnes se retrouve à faire un cours de techniques de recherche d’emploi avec des maçons», ajoute le directeur romand de l’Association suisse des cadres.
A ces critiques, les ORP rétorquent que les cadres sont mieux outillés en termes de compétences professionnelles pour gérer une situation de chômage. «Nous prenons plus de temps pour les personnes qui n’ont aucune autonomie, explique Roger Piccand, chef du Service de l’emploi dans le canton de Vaud. La majorité des cadres bénéficient de suivis d’outplacement (coaching et aide au placement) pris en charge par leur ancienne entreprise.» Une vision que Bernard Briguet qualifie de «cliché»: «Seuls quelques privilégiés travaillant dans de grandes multinationales de l’arc lémanique profitent de ces mesures d’accompagnement. Les autres se retrouvent souvent face à un marché verrouillé car ils sont trop qualifiés pour les agences de placement classiques et pas assez pour les grands chasseurs de têtes. Ils ont alors besoin d’un accompagnement. Mais il y a un vide dans la politique de réinsertion des cadres en Suisse.»
Pour remédier à cette situation, le directeur romand de l’Association suisse des cadres souhaite mettre en place un guichet ORP pour toute la Suisse romande, comprenant une quinzaine de spécialistes avec une vision nationale, voire internationale du marché de l’emploi. «Je réclame une telle mesure depuis plus de dix ans. Mais je constate qu’il n’y a pas de volonté politique et je ne comprends pas cette résistance.»
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Office de placement: mode d’emploi
Beaucoup de cadres n’obtiennent rien de l’assurance chômage de par leur ignorance du fonctionnement des ORP. Nos conseils.
«Il est primordial d’établir un bon contact avec son conseiller, commenteDaniel Porot, conseiller en carrière. Il faut construire un projet avec lui en négociant. » Il joue un rôle crucial pour le chômeur: il est son unique contact dans les ORP. C’est lui qui fixe les objectifs du demandeur d’emploi ou des mesures à lui attribuer. Il peut aussi décider si un poste est acceptable ou non.
Au moment de négocier avec cet interlocuteur, il s’agit de ne pas perdre de vue qu’il possède une fonction de contrôle des chômeurs, sous-tendue par une logique d’assureur. Si un conflit devait malgré tout surgir, la meilleure attitude consiste à avertir immédiatement le supérieur hiérarchique. Dans certains cas exceptionnels, un changement de conseiller est envisageable.
Il est essentiel d’arriver vers son conseiller avec des objectifs clairs dès le premier entretien. «Il ne faut pas en attendre du baby-sitting, encore moins du placement, souligne Daniel Porot. Il s’agit d’un généraliste qui ne connaît pas tous les métiers.»
Pour obtenir des cours, il faut être pro-actif. Pour cela, le cadre devrait dresser un bilan de compétence rapidement, avant même d’obtenir un rendez-vous à l’ORP. Cette démarche permettra d’établir ses besoins en termes de formation. Ce faisant, on met toutes les chances de son côté: «Il est rare qu’une demande bien documentée n’aboutisse pas», souligne Roger Piccand.
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Six pistes à suivre
Pour réinsérer rapidement et durablement les cadres, plusieurs solutions sont mises en œuvre. Exemples.
L’allocation d’initiation au travail
Cette mesure, qui rencontre un grand succès, permet à un chômeur auquel il manque certaines compétences (linguistiques ou informatiques, par exemple) d’être engagé par une entreprise. L’assurance-chômage paie la formation ainsi qu’une partie du salaire (jusqu’à 40%), le temps que la personne embauchée devienne productive.
Innopark
Ce projet comporte un programme d’emploi temporaire dans 8 centres régionaux, dont Yverdon et Genève. Il permet à des demandeurs d’emploi hautement qualifiés de compléter leur expérience dans les secteurs du marketing, de l’économie d’entreprise ou de la gestion de projet.
BNF
Cette mesure s’adresse aux spécialistes en biomédecine et en sciences naturelles ainsi qu’aux chercheurs. Il s’agit d’un programme d’emploi temporaire qui comprend la participation à un projet sur le marché du travail réel, complété par une formation continue et du coaching.
Les cours
Les ORP disposent d’un catalogue de plus de 200 cours qui vont des langues à l’informatique en passant par le marketing, des techniques de recherche d’emploi ou encore de gestion de projet. Sur demande, des cours «hors catalogue» peuvent aussi être financés.
Syni
Ce programme permet à des universitaires, expérimentés ou non, de travailler dans le milieu des organisations internationales. Les programmes, d’une durée de six mois, se déroulent en Suisse ou en Europe de l’Est.
CV sur Internet
Les demandeurs d’emploi peuvent créer gratuitement leur site Web pour héberger leur curriculum vitae et d’autres documents concernant leur parcours professionnel.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Bilan du 25 mars 2009.