CULTURE

Yello: «Voilà pourquoi notre musique plaît tant aux cinéastes et aux agences publicitaires!»

Dans un palace genevois, Largeur.com a rencontré le duo zurichois, qui travaille sur un projet cinématographique avec Björk.

«Pères fondateurs de la techno.» L’expression a le don de faire sourire Boris Blank. Depuis toujours, le musicien suisse s’est défié des modes et des étiquettes. Avec son compère Dieter Meier, voix humaine, trop humaine dans cet univers de glace et de strass, Boris Blank cultive la délicate autarcie de son art, farouchement opposé à ce que sa créature lui échappe. Nouvelle mouture de cette musique-frankenstein, «Motion Picture» explore donc à nouveau les liaisons dangereuses de l’électronique, du jazz et des musiques de film, quitte à friser parfois l’auto-parodie. Car à trop vouloir se défier des modes et travaux d’aujourd’hui, Yello prend le risque de demeurer hors course, ne parvenant plus à conquérir de nouveaux publics. Ce qui, pour Boris Blank et Dieter Meier, n’est manifestement plus à l’ordre du jour.

Pouvez-vous décrire ce nouvel album?

Boris Blank: Par rapport aux disques précédents, celui-ci se déroule de manière très fluide et naturelle. Tout est transparent, léger et aéré. Avec chaque écoute, j’ai l’impression de découvrir de nouveaux détails. Si l’album précédent se présentait comme un voyage dans l’espace, celui-ci est plutôt orienté vers l’émotion.

Est-ce ainsi que vous l’avez conçu?

BB: Non, pas du tout. Nous ne travaillons jamais avec un concept préétabli. Les morceaux naissent les uns après les autres, de manière tout à fait spontanée. Ensuite, comme un peintre se préparant à une exposition, nous sélectionnons les titres qui figureront sur l’album. Et il en a toujours été ainsi.

Le titre, «Motion Picture», fait-il allusion à vos rapports étroits avec le 7e art?

BB: Bien sûr, mais cela n’est pas propre à cet album. Yello a toujours fait une musique visuelle, voire cinématographique. Je n’ai rien contre la techno abstraite, mais j’ai de la peine à l’écouter ailleurs que dans les clubs. Notre musique n’est pas spécialement destinée aux pistes de danse, elle peut être écoutée chez soi, en voiture, etc. Il y a toujours un scénario, des personnages et une atmosphère d’aventure, ce qui explique sans doute pourquoi notre musique plaît tant aux cinéastes et aux agences publicitaires!

A ce propos. allez-vous composer à nouveau pour le cinéma?

BB: Certainement. Je dois faire la musique du film de Dieter («The Lightmaker»), qui est bientôt terminé. Il y a aussi un projet de film en cours aux Etats-Unis, pour lequel je pourrais être appelé à travailler avec Björk, mais rien n’est encore certain. Cette année, nous avons été en lice pour composer la musique du prochain James Bond. Mais nous n’avons pas été choisis. C’est dommage, même si un projet de cette ampleur me ferait assez peur. Qui sait? Peut-être pour le prochain!

Votre musique est très influencée par le cinéma. Est-ce qu’en retour, vos films subissent l’influence de la musique?

Dieter Meier: Bien sûr. Dans mes films, la musique est aussi importante que les images. Car la musique crée des émotions qui, à leur tour, suggèrent des images. Tout est lié. Dans «The Lightmaker», la musique est primordiale, puisqu’il s’agit de l’histoire d’un violoniste qui fait naître, par son jeu, tout un monde d’images. La musique de Boris sera donc bien plus qu’une simple illustration sonore.

Votre image, sur les pochettes ou dans vos vidéos, semble très étudiée, comme si vous surgissiez d’un film des années cinquante…

BB: Cela concerne davantage Dieter. Pour ma part, je ne suis pas du tout un acteur, et je n’aime pas me voir sur un écran. Je suis bien trop timide pour cela. Nous n’avons jamais été comme David Bowie qui change de coupe de cheveux chaque année. Notre image correspond à ce que nous sommes, et nous ne pouvons en changer. Nous vieillissons, c’est tout!

DM: Personnellement, je me considère véritablement comme un acteur, et je sais faire la distinction entre le rôle que j’endosse dans mes chansons et ma vie privée. Dans Yello, j’essaie avant tout de donner vie à des créations artificielles, qui n’ont que peu de rapport avec mon existence. La personne qui vous parle en ce moment, c’est moi tel que je suis dans le privé, et non un personnage créé pour Yello.

Quelle est la part de politique dans votre musique ou dans vos textes?

DM: On ne trouvera jamais dans notre musique une traduction littérale de tel ou tel discours politique. Yello n’écrit pas des «protest-songs».En revanche, je suis persuadé que toute expression artistique qui tente de redéfinir notre place sur cette terre est par nature politique. Pourquoi s’intéresse-t-on encore à Shakespeare? Sans doute parce que, malgré le contexte politique radicalement différent, la définition universelle qu’il donne des souffrances humaines est toujours d’actualité. En ce sens, mes textes ou mes films ont une dimension politique.

A vos débuts, la musique de Yello était plus agressive qu’aujourd’hui. Etiez-vous alors influencé par le mouvement punk?

DM: Il y a eu une période avant ma rencontre avec Boris où j’étais assez désespéré. Je montais sur scène pour crier, pleurer, agresser le public. Je m’étais teint les cheveux en vert, je portais des vêtements outrageants, et cela bien avant l’arrivée du punk. J’avais besoin de me démarquer, de me mettre en scène comme un personnage qui affronte le monde extérieur et survit à ses agressions. Mais dès que j’ai pu trouver avec Yello le moyen d’exprimer ma vérité intérieure, je n’ai plus eu besoin de cela.