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Dans de beaux DRA

Courageuse en apparence, face à la menace des pirates somaliens, l’idée du Conseil fédéral de faire protéger les navires suisses par les troupes d’élite de l’armée. Sauf que ce n’est qu’une idée pour la galerie.

«Ils sont lents, vulnérables et transportent des cargaisons particulièrement intéressantes». On ne parle pas ici des banquiers de l’UBS, ni de l’Union des paysans, mais d’un secteur de notre économie injustement sous-estimé: la marine marchande.

Un pirate par définition ne respectant rien, et surtout pas les pavillons neutres, les flibustiers de Somalie n’épargneront sans doute pas, un jour ou l’autre, les fiers vaisseaux helvètes. C’est en tout cas ce qu’estime un Conseil fédéral soudain saisi par le démon inhabituel de la prévoyance. D’où l’idée, hélas qualifiée de saugrenue par certains experts, que les soldats de notre armée accompagnent notre flotte en mers hostiles.

Chouette, en effet, au moment où l’homme qui s’apprête à prendre la tête du département de la Défense s’appelle Ueli Maurer. Un type, ce Maurer, qui ne supporte pas, comme tous ses coreligionnaires de la secte UDC, la seule idée d’un seul soldat suisse foulant en uniforme une seule parcelle de territoire ennemi, c’est-à-dire étranger. Fut-il de nature aqueuse. Un soldat suisse, nul ne l’ignore, c’est juste bon à croupir dans le réduit national, punkt schluss.

Evidemment de nos jours les pirates ne travaillent plus au sabre mais au lance-roquette. Qu’importe, puisqu’on vient d’apprendre à cette occasion l’existence d’un GIGN à la suisse: le DRA 10, groupement de Rambos version bras noueux. Une cinquantaine de types à l’œuvre depuis 2007 dans un secret relatif et triés sur le volet: 10 admissions par année pour 300 postulants. Les valeureux élus sont en général grenadiers ou parachutistes, spécialistes en explosifs, tireurs d’élite, et s’engagent pour cinq ans. Ils ont même déjà effectué une «mission amphibie» dans le cercle polaire, même si ce n’était qu’un exercice. Tremblez, pirates.

Bon, rassurons les naufrageurs: ils peuvent compter sur un confortable sursis. Outre l’hostilité d’une partie du parlement, prêt à hurler à la violation du principe de neutralité, l’intendance risque de suivre avec peine. D’abord comment acheminer les kamikazes sur place? Pingrerie des chambres oblige, le DRA ne possède pas d’avion. Or sans cela, transporter des troupes à l’étranger nécessite une montagne d’autorisations. Et puis, qui casquerait pour cette protection de navires somme toute privés?

Il y a enfin ceux qui, comme l’expert militaire Albert Stahel, ne croient pas un instant à l’efficacité dissuasive du DRA. Stahel les verrait plutôt, les terreurs du DRA, compliquer la situation et servir bientôt d’otages particulièrement juteux aux pirates. Sa solution consisterait plutôt à laisser les grandes personnes, pardon les grandes puissances, s’occuper de cette affaire. Contre un léger marchandage: les navires suisses abandonneraient leur pavillon à croix blanche au profit de celui de leurs protecteurs. Tollé évidemment indigné et patriotique à l’Office fédéral de la navigation militaire dont on apprend aussi du coup l’existence loufoque.

Bref les pirates ont eu chaud, mais ils respirent et auront sans doute droit à un sacré répit, le temps que tout le monde se mette d’accord, et qu’on trouve une astuce faramineuse. Comme de mettre le DRA à la disposition du PAM (le Programme Alimentaire Mondial) qui utilise une escorte internationale pour protéger ses navires. Une fois dans la place, c’est-à-dire le golf d’Aden, les gros bras du DRA pourraient, subrepticement et en cas de nécessité voler au secours d’un navire suisse subissant un abordage. Finaud.

Cette même finesse sur lit d’indécision se retrouve dans la façon avec laquelle les autorités fédérales occultent le dispositif d’alerte à l’enlèvement. Un système dont la France mois après mois démontre pourtant l’efficacité. Mais Eveline Widmer-Schlumpf annonce «les premières évaluations» pour… 2010. Au motif que les compétences en la matière sont cantonales et donc multiples. Sans compter qu’il reste à prendre en compte, figurez-vous, une flopée de paramètres «juridiques, techniques et tactiques».

C’est la grande chance des kidnappeurs et autres pirates qui voudraient s’attaquer à des personnes ou des intérêts suisses: le monde vu de la Confédération est décidemment trop compliqué pour qu’on s’avise de le changer. Vogue la galère.