LATITUDES

Le cabinet des curiosités du docteur Laurent Schweizer

L’écrivain genevois vient de publier «Latex», un roman étonnant, inspiré par le meurtre du banquier Edouard Stern. Rencontre.

Le sourire de Freddie Mercury. Son une-pièce de pilote de chasse, fermeture éclair ouverte sur le torse, façon Tanguy & Laverdure de retour de mission. Le sommet du Montreux Palace, son immense suite et le champagne qui coule à flot. Ces flashes, Laurent Schweizer les retient comme ses meilleurs souvenirs de journaliste people. C’était il y a longtemps, dans une des multiples vies de l’écrivain dont le troisième roman, «Latex», inspiré du meurtre à Genève du banquier Edouard Stern, vient de sortir aux éditions du Seuil.

Les années 80 allaient mourir. Culture Club, Duran Duran et Nik Kershaw squattaient les charts anglais, Tony Blair n’avait pas encore inventé le New Labour et Londres était cette ville sale qui attirait les effrontés. Laurent Schweizer venait de terminer son école de recrue lorsqu’il se décide d’aller y vivre. «Pour la musique. Pour cette énergie incroyable que dégageait la scène anglaise», se rappelle l’écrivain. Nostalgique? «Je n’ai rien gardé de cette époque. Ni des autres. Je ne suis pas fétichiste.» A bientôt 41 ans, l’auteur, installé à Genève, n’entretient pas de nostalgie. Au contraire, ses livres sont des concentrés du monde contemporain. Des «Time Capsules» des névroses d’aujourd’hui. Les écrire, dit-il, est la chose qui le captive le plus.

Retour à Londres. Quelques semaines après son arrivée, Laurent Schweizer devient le poisson pilote d’un journaliste, animateur des pages people du «Daily Express». L’homme l’emporte partout avec lui. «On ne pouvait pas entrer dans un restaurant sans qu’un artiste, ou un agent, ne nous interpelle pour nous glisser des informations ou des indiscrétions sur des concurrents.»

Les soirées s’enchaînent, la proximité s’installe. Le système de promotion des produits culturels ne connaissait pas encore les règles strictes et paranoïaques d’aujourd’hui. «Tous les soirs, on côtoyait des chanteurs, des acteurs, des producteurs. On faisait partie de leur entourage.» Laurent Schweizer vend leurs interviews à une agence de presse française. L’affaire lui permet de vivre. Mais elle n’est de loin pas l’entreprise la plus florissante qu’il ait connue.

Fin des années 70, à Lausanne. Gymnasien, Laurent Schweizer crée un fanzine. Pour remplir «Single», il s’improvise critique rock. «Mais ce n’était pas l’écriture qui m’intéressait. C’était l’aspect économique.» De fait, le magazine se vend bien. «Je n’ai jamais gagné autant d’argent qu’à cette époque. Les élèves des écoles privées étaient d’excellents clients. Des jeunes filles distribuaient «Single» à la sortie de plusieurs établissements scolaires. Elles étaient un peu comme les bunnies de Hugh Hefner!»

Le succès de cette publication estudiantine, au ton très «sex, drugs and rock’n roll», inquiète bientôt la hiérarchie de l’école qu’il fréquente. Son directeur convoque les parents du futur écrivain. Ils ont le choix: soit leur fils cesse de publier «Single», soit il doit quitter l’établissement. Laurent Schweizer part.

Cette liberté d’esprit, le futur écrivain s’appliquera à l’affirmer de la même manière, radicale, une quinzaine d’années plus tard, lorsqu’il devra choisir un sujet de thèse pour conclure ses études de droit. Alors que l’art brut déclenche une obligation d’extase dans toute l’intelligentsia romande, lui s’interroge sur la notion de propriété intellectuelle de ces productions. Les promoteurs de l’art brut seraient-ils des usurpateurs? Son travail lui vaudra de solides inimitiés.

Le meurtre d’Edouard Stern, le 28 février 2005, est au cœur de «Latex», le troisième roman de Laurent Schweizer, désormais installé à Genève. Mais le banquier français en est totalement absent. Le fait divers est passé par l’esprit transformateur de l’écrivain. Stern devient Philipp Kidman et le thriller politico sexuel n’emprunte que des éléments épars à l’affaire: une combinaison SM, des pistolets rutilants, du sexe en excès. Beaucoup de drogue aussi.

Le même procédé animait «Prions», son deuxième roman, paru en 2004. L’intrigue se noue dans les couloirs de l’Organisation mondiale de la santé, pour laquelle l’auteur a travaillé comme juriste, mais le lecteur qui irait y chercher un mode d’emploi de l’organisation internationale basée à Genève feraient fausse route. Derrière la froide description des couloirs et des relations de travail policées, la fulgurance d’amours charnels avec des êtres aussi vénéneux et contagieux que les maladies qui ont secoué la médecine et l’économie alimentaire, menaçant l’espèce humaine.

Laurent Schweizer écrit actuellement son quatrième roman. Une histoire où les enfants violentent leurs parents.

——-
Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire d’automne 2008.