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L’obligation de Pékin

Boycotter la Chine? Impossible car, contrairement aux Soviétiques, les Chinois sont parvenus à se placer au centre de l’économie mondiale.

Quatre mois ont passé. Les partisans du boycott des Jeux olympiques ont fait trois petits tours devant les caméras de télévision et s’en sont allés. A Pékin. Ciel, que le monde politique tourne vite! Bush, Sarkozy, Couchepin, tout le monde sera dans la tribune officielle au soir du 08-08-08 à 08:08:08, quand débutera la cérémonie d’ouverture de la XXIXe olympiade.

Les Chinois sont friands de symboles. Pour eux le chiffre 8 est gage d’infini (comme pour nous d’ailleurs) et de prospérité. Le huit est de surcroît le nombre de l’équilibre cosmique, des pétales du lotus et des sentiers de la Voie. C’est aussi celui des trigrammes du Yi-king et des piliers du Ming-t’ang, la maison traditionnelle. C’est dire que la date ne fut pas choisie par hasard. Que ce chiffre huit gêne les Occidentaux aux entournures en raison des manifestations intempestives organisées depuis quelques lustres par les nostalgiques de Hitler (H, huitième lettre de l’alphabet) n’a semble-t-il pas atténué l’enthousiasme chinois.

Dans la chaleur moite de l’été pékinois, Messieurs Bush, Sarkozy, Couchepin et nombre de leurs homologues applaudiront donc patriotiquement et sportivement le défilé des 205 délégations d’athlètes participant aux Jeux. En principe, il ne devrait pas pleuvoir, les météorologues ayant mis au point un système de canons à nuages chargés détourner d’éventuelles pluies sur des banlieues lointaines. Il y aura certes des absents, tant du côté des politiciens que des célébrités, mais la fête s’annonce si colossale qu’ils auront de la peine à faire retentir leur dissentiment.

Pendant ce temps, Tibétains et Ouighours seront étroitement surveillés par des milliers d’agents du pouvoir central. D’autres milliers de flics surveilleront les agissements des internautes. Un contrôle s’exercera sans faillir sur tous ceux qui une fois auront eu le courage d’ébaucher une critique envers les dirigeants d’un pays qui, quoi qu’en disent les tartufes et autres lèche-cul, demeure envers et contre tout la plus grande dictature du monde.

Il s’est beaucoup écrit sur les liens entre les dictatures et le sport. En Europe, les dictatures militarisées des années 1930 ont habilement détourné à leur profit les activités sportives pour en faire le support du développement de leurs armées. On ne reviendra sur les Jeux de 1936 à Berlin instrumentalisés par les nazis que pour signaler qu’ils inaugurèrent d’un côté la fonction politique du sport et de l’autre sa redoutable efficacité comme moyen de propagande.

Le gouvernement chinois dispose donc de deux bonnes semaines pour tenter d’affermir encore plus son image de grande puissance apte à participer à la gestion de la planète aux côtés des Occidentaux et des Russes. Politiquement, son pari est encore plus ambitieux. Maintenant que la Chine est entrée de plain pied dans le système capitaliste en développant (non sans sauvagerie) une formidable puissance industrielle, commerciale et financière, ses dirigeants voudraient aussi pouvoir imposer leur système de domination (des élites jamais élues mais cooptées régnant sur un peuple sans voix) comme une alternative à l’idéologie occidentale dominante fondée sur la démocratie et les droits de l’homme.

Si le pari réussit, si les voix discordantes sont étouffées et que le régime, au soir du 24 août, lors de la cérémonie de clôture, peut se glorifier d’avoir réalisés des Jeux impeccables, c’est une large brèche dans la démocratie qui aura été percée. Car contrairement aux Soviétiques qui avaient créé avec leur socialisme dans un seul pays une économie réfractaire à toute collusion avec le capitalisme libéral, les Chinois, eux, sont parvenus à se placer au centre de l’économie mondiale. Cela pourrait marquer le vrai démarrage historique du XXIe siècle.