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Tiraillée entre l’Est et l’Ouest, l’Ukraine piétine

L’Union européenne va examiner la semaine prochaine un projet de soutien aux pays extracommunautaires de l’Est. La Russie maintient la pression. Politiquement, la situation est bloquée: le gouvernement Timochenko vient de perdre la majorité au parlement.

Loin des gesticulations sarkoziennes sur l’Union méditerranéenne, une initiative polono-suédoise soumise au prochain Conseil européen des 19 et 20 juin vise à renforcer les liens avec quelques Etats de l’Europe centrale (Ukraine, Belarus, Moldova) et caucasienne. Il s’agit pour les promoteurs de sortir de l’impasse créée par la hâte américaine à intégrer ces pays dans l’OTAN pour achever l’encerclement militaire rapproché de la Russie.

Or, début avril, au sommet de l’OTAN de Bucarest, les Américains ont dû prendre acte (en termes diplomatiques) de l’échec de leur proposition face à l’opposition déterminée de l’encore président Poutine. Mais surtout à cause de l’opposition non moins déterminée mais beaucoup plus feutrée de la chancelière allemande Angela Merkel dont la politique à l’Est privilégie les liens avec Moscou.

On se souvient que l’une des dernières grandes opérations de son prédécesseur Gerhard Schröder fut de signer un gros contrat avec Moscou pour approvisionner l’Allemagne par un pipe-line plongé dans la Baltique afin d’éviter de payer des taxes de transit à la Pologne, voire de courir le risque de chantage énergétique par fermeture des robinets.

Polonais et Suédois estiment aussi que le projet Sarkozy fait décidément trop pencher l’Europe vers le Sud et qu’il convient de la recentrer. Comme le Belarus et la Moldova comptent présentement pour beurre, le premier à cause du délire dictatorial de son président, la seconde en raison de son extrême dénuement, c’est avant tout à l’Ukraine qu’ils s’adressent.

L’Ukraine a indiscutablement besoin de soutien. Indépendant depuis 1991, cet immense pays peuplé de près de cinquante millions d’habitants n’arrive pas à s’extirper de sa carcasse soviétique tant au niveau des mentalités que des structures.

Dans la partie orientale du pays – très russifiée – les catastrophes minières témoignent de l’obsolescence des installations: les malheureux mineurs descendent dans des pieds vétustes, mal entretenus, pour des salaires de misère. Les douze disparus de ce début de semaine travaillaient dans la mine Karl Marx.

En Ukraine occidentale, réputée plus proche des valeurs européennes, la situation n’est guère meilleure. Je viens de la parcourir en long et en large de Tchernivtsi à Ivano-Frankivsc et Lviv, soit les anciennes Galicie et Bucovine. Partout les gens se plaignent des difficultés de l’existence. En cette saison où les travaux des champs battent leur plein, on ne voit pas une machine.

Certains détails ne trompent pas. Le personnel des hôtels ou des grands magasins réagit encore à la soviétique en arborant un visage revêche à la vue du client et en l’accueillant comme un trouble-fête. Comme autrefois, l’accès à la frontière est protégé par trois postes de contrôles, le premier à une trentaine de kilomètres de la frontière, le deuxième à environ 15 km, le troisième à la douane même où l’on vous distribue moult papiers à faire timbrer. Dans les villes (Lviv est très belle), les grands immeubles de la période autrichienne ont souvent été repeints à l’extérieur, mais à l’extérieur seulement!

Pourquoi ce retard presque vingt ans et une génération après la désintégration de l’URSS? Parce que les équilibres politiques sont bloqués. Après la longue semi-dictature de Leonid Koutchma, un apparatchik proche de Moscou, cela ne fait que quatre ans que la démocratie pointe le bout de son nez.

Deux dirigeants, en principe occidentalisants mais néanmoins farouches adversaires, le président Viktor Iouchtchenko et la cheffe du gouvernement Ioulia Timochenko se livrent sans trêve une vive lutte pour le pouvoir. Un troisième homme, Viktor Ianoukovytch, poids lourd de l’Ukraine orientale favorable à Moscou, solidement assis sur un gros tiers de l’électorat, observe leurs joutes, tend des pièges, espère l’emporter par un double k.o.

Difficilement élue à Noël dernier à la tête du gouvernement avec une voix d’avance sur la majorité nécessaire, Timochenko a perdu deux députés (ah! la corruption…) la semaine passée. Selon toute vraisemblance, les Ukrainiens vont devoir revoter très prochainement. Favoriseront-ils un camp plutôt que l’autre? Pas sûr.

De toute manière, tant que l’Union européenne n’aura pas pris des mesures pour soutenir efficacement ses partisans, les enjeux restent flous et le poids de Moscou considérable. Le 1er juin dernier, Poutine déclarait au quotidien Le Monde: «Nous craignons que l’adhésion de ces pays à l’OTAN ne se traduise par l’installation chez eux de systèmes de missiles qui nous menaceront.»

Si Washington parvient à faire sauter le verrou allemand qui empêche cette adhésion, Poutine (et Medvedev) disposent d’une arme dont ils ont déjà menacé l’Ukraine: la partition du pays, l’Ukraine orientale et la Crimée (avec la base stratégique de Sébastopol largement pro-russes formant un nouvel Etat ou devenant des sujets de la Fédération de Russie.