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La désinformation électorale qui a fait grimper l’audimat de «notre télévision»

Le 24 octobre, lors de sa journée électorale, la TSR annonçait l’effondrement d’un PS balayé par la droite blochérienne. Cette erreur grossière n’a pas été suivie d’un mea culpa.

Ainsi, la gauche a encore renforcé ses positions ce week-end en gagnant deux sièges au Conseil des Etats*. Christoph Blocher est certes le grand vainqueur des élections, mais il n’a pas vaincu là où on l’attendait, en grignotant le centre. Il a simplement laminé l’extrême-droite et induit les droites à voter UDC partout où ce parti présentait des candidats, notamment dans les cantons de Genève, Vaud, Fribourg et Valais. Est-ce surprenant? Certainement pas. Ce qui surprend, par contre, c’est que le Valais, travaillé au corps par trente ans de Nouvelliste à la Luisier, ait un électorat extrémiste aussi réduit!

Ces quelques considérations me permettent de poser une question qui me turlupine depuis le dimanche 24 octobre à 14 heures quand «notre télévision» annonçait à grand renfort de trompettes sondagières l’effondrement du PS et du PDC suite à la victoire extraordinaire de la droite blochérienne.

Pris par surprise comme, je l’imagine, la majorité de mes concitoyens et concitoyennes, j’ai sacrifié mon dimanche au petit écran pour suivre d’heure en heure jusque tard dans la nuit l’évolution d’une catastrophe claironnée avec une telle conviction. Comme un crétin, à la place d’aller m’aérer au bord du lac, j’ai fait fonctionner ce fameux audimat qui permettait le lendemain aux dirigeants de la chaîne de pavoiser en annonçant le succès de leur opération électorale. Un succès aussi frappant que celui de Blocher.

Mais, à la différence de celui de Blocher, le succès de la Télévision romande frise l’escroquerie. Car enfin, pendant tout un dimanche, mes confrères de la télévision m’ont fait avaler des fadaises. Non, le PS ne s’est pas effondré même si sa présidente Ursula Koch a été déstabilisée sur le moment par l’annonce – non vérifiée par la suite – de la perte d’une kyrielle de sièges. Non, le PDC n’a pas été balayé de la scène politique même si sa décrépitude était donnée pour acquise depuis des mois par des sondeurs d’un professionnalisme tel qu’ils arrivent à débiter tout et son contraire avec un sourire aussi large et avenant que leur nœud papillon.

Vous avez vu les jours suivants nos chers présentateurs esquisser le début d’une ébauche d’excuse pour le désarroi semé pendant une longue journée d’automne? Moi pas.

Vous avez lu quelque part un communiqué de la rédaction en chef de l’information télévisée regrettant la confiance excessive placée en des instituts de sondages si peu fiables qu’ils en sont presque humains? Moi pas.

Vous avez entendu les dirigeants de ces instituts publier leurs prévisions d’avant et pendant le scrutin pour les comparer avec les résultats réels et demander l’indulgence des victimes pour une science encore fort inexacte, mais peut-être perfectible? Moi pas.

Ces manques me dérangent. Pas comme payeur d’une taxe TV qui finance non seulement «ma» télévision mais aussi des instituts de sondages qui, sans ses commandes, boufferaient probablement de la vache enragée. Ces manques me dérangent tout simplement comme citoyen. Car enfin, l’emprise de la télévision est telle que son rôle dans la formation de l’opinion publique est déterminant. La formation vient de l’information non de la déformation.

Or, depuis des mois, l’ogre blochérien était voué à dévorer du socialiste et du démocrate-chrétien. En réalité, il a avalé l’extrême-droite fascisante. La nuance est de taille. Un régime commence à se désintégrer au moment où le centre (le fameux «marais») cède à l’appel de l’extrémisme. La Suisse d’aujourd’hui en est loin: le centre a tenu, la droite et l’extrême-droite se sont restructurées. Elles n’en sont pas moins dangereuses, surtout avec un malin comme Blocher à leur tête. Mais pour les combattre avec efficacité, il s’agit de les connaître, de repérer leur champ d’action, pas de brouiller les cartes en répandant des informations farfelues dont l’accumulation frise à la longue la désinformation volontaire.

Dans ce sens, le tribunal zurichois qui vient de sanctionner l’antisémitisme de Blocher a beaucoup plus fait pour la démocratie que les fastueuses opérations électorales d’une télévision que je ne ressens en aucun cas comme étant mienne.

Blocher est un apprenti-sorcier dangereux dont le succès fleurit sur la naïveté du peuple. Ce n’est qu’en l’envoyant dans les cordes de son extrémisme, en dénonçant la duplicité de son langage, en soulignant à chaque coup son mépris pour la démocratie qu’on parviendra à dévoiler son vrai visage. La télévision n’étant heureusement pas exempte de contradictions, Daniel Monnat a su nous montrer ce Blocher-là dans son remarquable reportage pour Temps Présent.

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*De plus, les Neuchâtelois ont préféré à la droite libérale une candidate radicale marquée par ses préoccupations sociales. Il n’est pas impossible de surcroît que dimanche prochain, la gauche tessinoise parvienne à faire passer Pietro Martinelli aux Etats dans la mesure où le maintien de la candidature Bignasca divise la droite. Le Tessin d’ailleurs, me dit un ami qui en connaît les nuances, n’a jamais voté aussi à gauche depuis longtemps: les députés PDC appartiennent à l’aile chrétienne-sociale, et ceux du parti libéral-radical se situent au centre-gauche en opposition à l’aile affairiste et luganaise du parti symbolisée par la pétulante Marina Masoni, conseillère d’Etat. Souvenons-nous par ailleurs que rarement, la Suisse romande aura envoyé à Berne des personnalités aussi typées et dynamiques que Fernand Cuche, Patrice Mugny ou Anne-Catherine Ménétrey.