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Une nouvelle poussée de fièvre atomique

Après une accalmie suite au désastre de Tchernobyl, la java de la bombe reprend plus fort que jamais. Le sinistre échange des infirmières bulgares contre la vente de nucléaire prétendument civil à Kadhafi n’en est qu’un exemple.

Il y a 62 ans, les 6 et 9 août 1945, les premières bombes atomiques étaient lâchées sur Hiroshima et Nagasaki, marquant ainsi le début terrifiant d’une course à la bombe qui, depuis, n’a jamais cessé.

Dix ans plus tard, en prise sur l’air du temps, Boris Vian donnait libre cours à son humour grinçant dans sa chanson «La java des bombes atomiques», moquant les chefs d’Etats, «tous ces tordus».

Il y a trente ans, le 31 juillet 1977, au plus fort du mouvement antiatomique, Vital Michalon, un manifestant parmi plusieurs dizaines de milliers d’antinucléaires, était tué par la police alors qu’il protestait contre la construction du surgénérateur Superphénix, à Creys-Malville. Une installation qui n’a jamais fonctionné correctement et qui est en voie de difficile déconstruction.

Après une très relative accalmie suite au désastre de Tchernobyl, la java de la bombe reprend plus fort que jamais. Le sinistre échange des malheureuses infirmières bulgares contre, entre autres, la vente, par la France, de nucléaire prétendument civil à l’incontrôlable Mouammar Kadhafi, un tordu digne de la chanson de Boris Vian, n’est que l’ultime avatar très visible de cette politique.

Dans l’ombre, il y a mieux. Comme, par exemple, la compétition entre la Russie et les Etats-Unis pour équiper l’Egypte en centrale nucléaire. Concurrence déclenchée depuis qu’en automne 2006, Le Caire a décidé de rouvrir son dossier nucléaire.

«Pour développer l’agriculture», disent sans rire les experts. Aux dernières nouvelles, il semble que Washington ait marqué un point en ajoutant le nucléaire «civil» aux délirants crédits militaires qu’ils viennent d’ouvrir à l’Egypte, à Israël et aux autres.

Mais l’Egypte et la Libye ne sont pas les seuls Etats arabes — réputés, c’est bien connu, pour leur stabilité! — à chercher la bombinette.

Le 3 novembre 2006, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont aussi annoncé leur intention de se doter d’un programme nucléaire (évidemment!) civil. Relisez bien cette liste: il n’y figure aucun Etat démocratique!

En même temps, au mépris de la législation internationale (Traité de non-prolifération de 1970) et, en principe, au mépris de leurs propres options politiques, les Américains annonçaient, il y a quelques jours, la signature avec l’Inde d’un accord lui assurant une réserve stratégique de combustibles. Déjà en possession de la bombe (comme le Pakistan et Israël), l’Inde pourra ainsi poursuivre en toute quiétude ses essais nucléaires.

A l’autre bout de la planète, c’est encore la France de Sarkozy qui est en passe de vendre à la Chine deux réacteurs à prix cassés (5 milliards de dollars), deux pour le prix d’un, selon les écolos hexagonaux qui protestent. L’accord aurait dû être paraphé en début de semaine, mais les Chinois ont demandé un délai. Pour obtenir un rabais supplémentaire?

Pour ses défenseurs, le nucléaire est une énergie propre et non polluante. On a vu à Tchernobyl le crédit que l’on peut accorder à ces arguments. Ces derniers temps, trois centrales allemandes ont commencé à pécloter. Le ministre fédéral de l’Environnement, Sigmar Gabriel, un socialiste, est en train de déclencher une quasi crise gouvernementale en demandant un respect minimum des mesures de sécurité que le lobby nucléaire snobbe.

Au Japon, l’usine de Kashiwazaki-Kariwa, la centrale des centrales, la plus grande du monde, l’exemple même de la réussite sécuritaire nucléaire, a vacillé lors du tremblement de terre du 16 juillet dernier. «Elle n’était pas prévue pour une secousse aussi forte», commentent innocemment les responsables. Un transformateur a cramé, des fuites radioactives se sont produites. La centrale est fermée pour une durée indéterminée et la société qui l’exploite réduit ses prévisions de bénéfice de 80%.

Si l’on ajoute à ces menues péripéties le fait qu’aucune solution ne se dessine pour le stockage des déchets radioactifs qui empoisonnent la planète depuis plus de 60 ans, le tableau est complet.

A une petite touche près: les pro-nucléaires suisses aimeraient bien relancer la construction de centrales. Pour assurer le bonheur de nos arrière-arrière […] petits-enfants? Pour qu’ils puissent encore danser la java?