André Kudelski, directeur du groupe homonyme, est convaincu que le pays peut devenir un centre de compétence mondial en matière de sécurité numérique.
Des adolescents parviennent à casser des systèmes d’encodage mis au point par de puissantes multinationales. N’est-ce pas un terrible aveu de faiblesse pour votre industrie?
Non, c’est une illustration du monde dans lequel nous vivons qui devient de plus en plus asymétrique. Dans des systèmes informatiques qui se veulent toujours plus ouverts, il n’est plus possible d’imaginer toutes les failles à l’avance. C’est d’ailleurs contradictoire: les utilisateurs souhaitent à la fois une ouverture toujours plus grande des systèmes de communication et ont des exigences de sécurité très élevées.
Pourtant, il devient obligatoire de limiter les fonctionnalités pour assurer une sécurité absolue, et c’est bien la seule chose qui ne soit pas envisageable. Autrement dit, le métier n’est pas le même si on encode le signal télévisé de la Coupe du monde de football ou si l’on sécurise des services financiers.
Dans le cas de la finance, il existe un intérêt objectif et partagé entre la banque et le client d’avoir un système parfaitement sûr. C’est très différent dans le cas de la télévision, où le diffuseur a besoin d’une solution sûre, mais dont son client n’a rien à faire.
Vos décodeurs sont-il toujours la cible de hackers? Est-il vrai que peu avant la Coupe du monde, on pouvait trouver sur le Net des codes permettant de décrypter les matches?
A tout moment, des systèmes peuvent se retrouver en proie à des pirates. En ce qui concerne la Coupe du monde de football, nous avons pu faire le nécessaire pour que le signal soit sécurisé. Pourtant, c’est une chose de livrer des images de manière sécurisée jusqu’au décodeur des utilisateurs, mais cela ne fait pas tout.
Si l’un d’entre eux diffuse à son tour ce signal sur internet, il s’agit alors d’une autre forme de piratage. Les pirates ont un très large choix de possibilités. Tout ne peut pas se règler uniquement par des solutions techniques ou seulement par la voie juridique. Il faut une combinaison des deux.
La Suisse a-t-elle une chance de devenir un centre de compétence mondial en matière de sécurité high-tech?
J’en suis convaincu, tout comme certaines régions des Etats-Unis ou Israël ont su développer leurs compétences dans ce domaine. De plus, ces technologies sont particulièrement compatibles avec le savoir-faire et la façon de penser helvétiques. La protection de la sphère privée, les mythes du coffre-fort et du secret bancaire font partie de l’inconscient collectif. La neutralité du pays a également permis à l’industrie cryptographique de se développer sans subir l’influence d’autres intérêts stratégiques.
Dans beaucoup de pays qui faisaient partie de grands blocs, ces activités étaient considérées comme militaires et étroitement contrôlées. En outre, les dispositions légales sont nettement moins contraignantes en matière d’exportation de technologies de cryptographie que dans d’autres pays, même si cette différence tend à se réduire. Sur le plan humain, les étudiants formés dans nos hautes écoles apportent des compétences idéales.
En tant qu’employeur, êtes-vous satisfait du profil des diplômés formés par les hautes écoles?
Dans l’ensemble, les EPF forment d’excellents ingénieurs, même si il reste quelques zones d’ombre notamment dans leur façon de gérer des projets, et donc leur temps. Il faut peut-être porter plus d’attention à la formation secondaire, avant les EPF, où il reste beaucoup de travail. A force de porter trop d’attention à ceux qui ne courent pas assez vite, on décourage ceux qui ont envie de courir.
Comment est-il possible pour une entreprise vaudoise d’imposer un standard sur le marché mondial?
Une des beautés de la cryptographie est qu’elle permet justement de s’appuyer sur des standards industriels et d’en créer des variations. C’est ce qui nous permet d’apporter des solutions originales dans un marché global. Les aspects cryptographiques de la norme internationale DVB pour la télévision numérique, par exemple, sont ouverts. C’est un des rares domaines ou il existe une flexibilité dans les normes industrielles.
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Basée à Cheseaux (VD), l’entreprise Kudelski se spécialise dans les solutions numériques de sécurité et de gestion d’accès. Créée en 1951, elle compte 1’600 employés dans 15 pays. Son chiffre d’affaires atteignait 697 millions en 2005.
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François Pilet est journaliste pour le quotidien vaudois 24 Heures.