Refusée par les chambres en 2001, la réforme des noms de famille et de leur transmission refait surface. Avec la suppression envisagée du double patronyme pour les femmes, au profit du libre choix. Pagaille en perspective sous la coupole.
«On va de plus en plus vers le matriarcat.» Pas de panique, l’affirmation est du conseiller national UDC Oskar Freysinger, donc plus proche du fantasme viril que de la saine réalité.
Cette angoisse du mâle nationaliste découle d’un projet de loi portant sur un sujet en apparence anodin, mais en réalité plutôt explosif et qui touche à quelque chose de profond dans l’histoire de l’humanité: le nom de famille et sa transmission.
Une première tentative de modification avait d’ailleurs échoué, fait rarissime, lors de la votation finale devant les chambres en 2001. La situation actuelle est connue: depuis 1988, l’épouse peut soit prendre le nom de son mari, soit garder son nom et l’accoler à celui du dit mari, avec ou non tiret -– d’où ces interminables Micheline Calmy-Rey et autres longuettes Martine Brunschwig Graf.
Quant aux enfants, en principe, ils portent le nom du père. Les couples ont cependant la possibilité, s’ils peuvent invoquer «de justes motifs», d’adopter le nom de la femme. Mais cette législation suisse a été condamnée par la cour européenne des bien nommés droits de l’homme, car elle ne respectait pas le principe de l’égalité, l’homme n’ayant, lui, pas la possibilité d’opter pour le double nom — genre Oskar Freysinger Héritier, ou Oskar Héritier-Freysinger.
D’où la tentative de révision de 2001, et celle aujourd’hui qui pointe le bout de son nez, au travers d’une sous-commission présidée par le conseiller national genevois Carlo Sommaruga (PS).
Avec une solution assez drastique: la femme et le mari pourront chacun garder leur nom ou choisir de prendre en commun un des deux patronymes. Finies donc les appellations à tiroir. Martine Brunschwig Graf s’est d’ailleurs déjà désolée de voir son sigle MBG réduit à un fade MB.
Pour les enfants, même liberté: les parents pourront choisir lequel des patronymes leur transmettre avec, en cas de désaccord, la loi qui tranchera pour le nom de la mère.
Le projet de 2001 prévoyait que c’était l’autorité tutélaire qui devait trancher en cas de désaccord. Cette disposition avait fait capoter le vote, une majorité de députés estimant finalement que le nom à transmettre aux enfants ne devait s’apparenter à une partie de poker ou à un bras de fer, et que tous les moutards devaient être égaux devant la généalogie.
Cette fois, à nouveau, les oppositions sont vives, avec des lignes de batailles peu fréquentes ces dernières années et qui montrent que cet objet là est bien un OVNI politique: plutôt en faveur de la réforme, on trouve radicaux et socialistes, plutôt contre, les catholiques du PDC et les «patriarques» de l’UDC.
Avec peut-être aussi un certain féminisme dépité de voir niée la richesse de l’épouse double face. Un appauvrissement que Martine Brunschwig Graf, encore, stigmatise en prenant l’exemple de sa collègue Calmy-Rey: «Pour délivrer un message féministe, elle devrait choisir d’être Madame Rey. Comme des milliers d’autres. Si au contraire elle préférait devenir Madame Calmy, seul le lien avec son mari serait prépondérant.»
Et d’estimer que le nouveau projet constituerait, en ce sens, plutôt un recul.
A contrario, certains le trouvent trop révolutionnaire, comme la PDC fribourgeoise Thérèse Meyer, qui estime important que les familles aient «un nom de ralliement» et qui serait plutôt en faveur d’une solution qu’elle avait défendue en 2001: l’obligation pour les conjoints au moment du mariage de se choisir un patronyme commun, qu’il soit du mari ou de la femme.
Enfin, on touche aussi à un principe sacré: la lignée paternelle qui permettait d’identifier les familles à travers les générations. Les partisans de la réforme, tel le radical Jean-Paul Glasson, font valoir que ce principe de linéarité paternelle est déjà fort mis à mal par le nombre exponentiel de divorces et de familles recomposées.
Mais certains psychanalystes objectent que le libre choix du nom de famille à transmettre à l’enfant pourrait s’avérer une source de traumatismes divers, chacun des conjoints se sentant piégés par la fidélité à ses propres parents, et par les rapports de force entre les deux familles. En ce sens le double nom donné dès la naissance s’avèrerait à la fois plus équitable et plus exact.
Et puis il y a l’exemple paradoxal des Etats-Unis, où chacun est à peu près libre de changer de nom à sa guise, où la moitié la population ne porte plus le nom de ses ancêtres, mais où la recherche généalogique, rendue pourtant très aléatoire par la disparition du patronyme paternel, est devenue un sport quasi national.
Conclusion? Elle revient à Martine Brunschwig Graf, toujours, qui pronostique, sans trop de risque, que les débats vont s’enliser.
Petit post-scriptum: le fils aîné d’une candidate non mariée à la présidence de la République française et qui s’occupe de son blog, s’appelle Thomas Hollande.