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Cancre, tout un art

Il n’y a pas que Zizou à décevoir ses fans. Les parlementaires romands aussi, qui se traînent dans les classements effectués par la presse alémanique. Et Blocher, convaincu de mensonge, ou encore les éleveurs qui abandonnent leurs moutons…

Zizou, en homme de la semaine, caricaturé dans «Le Temps» avec un bonnet d’âne et tête baissée –- ce qui n’est pas toujours chez lui, comme on sait, signe de repentance –, remâchant sa honte près du poteau de corner: au coin l’artiste donc.

Mais des cancres, il y en a d’autres dans cette période post-Mondial qui s’ouvre comme un grand vide. Les parlementaires fédéraux romands, par exemple, qui lors du traditionnel classement annuel publié par la SonntagsZeitung font encore plus piètre figure que d’habitude. Le meilleur d’entre eux, le PDC valaisan Christophe Darbellay, ne figure qu’au 21ème rang.

Il faut ensuite glisser dans le ventre mou jusqu’au numéro 46 pour trouver la fribourgeoise Thérèse Meyer. A la 51ème place, grosse surprise, que certains invoquent comme preuve du manque de sérieux de cette évaluation, figure l’UDC vaudois André Bugnon. Les plus aimables font valoir qu’il doit ce verdict flatteur à sa fonction de deuxième vice-président du Conseil national. Suivent le jeune conseiller aux Etats fribourgeois Alain Berset, crédité d’un honorable 52ème rang, puis le libéral vaudois Claude Ruey, 68ème.

Quant à ceux qui, de ce côté de la Sarine, sont considérés comme des ténors, des piliers, des animaux politiques incontournables, il faut gratter profond dans le classement pour les dénicher. Le syndicaliste fribourgeois Christian Levrat, à la mordache aussi pugnace que cathodique? 80ème. Le socialiste valaisan Stéphane Rossini, référence et interlocuteur immanquable pour tout ce qui concerne les assurances sociales? 101ème.

L’écologiste vaudois Luc Recordon, icône de tous les médias romands confondus? 104ème. Le barde pornographe de Savièse Oskar Freysinger, chouchou absolu du Matin et d’Infrarouge? 193ème, soit 86 places de perdues par rapport à l’année dernière.

Cancre, cependant, c’est un travail. Mieux, tout un art, notamment celui de justifier, à l’infini, sa mauvaise place. A ce petit jeu, les parlementaires valaisans se montrent imbattables. Pour Freysinger, la place près du radiateur au fond de la classe est un honneur à revendiquer haut et fort: «Je me fous complètement de ce classement. Pire, ça me poserait beaucoup de problèmes si j’étais bien classé, ça signifierait que je serais rentré dans le moule.» Voilà l’occasion d’égratigner au passage le fort en thème Darbellay: «Mieux classé parce qu’il va dans le sens du vent.»

Jean-Noël Rey, 107ème, invoque lui l’évidence géographique: «Pour Zurich, la Suisse romande est très éloignée.» Mais la palme du cancre qui s’en sort toujours revient au radical Jean-René Germanier (201ème) qui brandit comme preuve de l’inanité de ce classement le fait que le socialiste vaudois Michel Béguelin (215ème) soit encore plus mal noté que lui, «alors qu’il a une très grande influence au parlement». Un petit coup de délation pour montrer que plus cancre que soi, on trouve toujours.

Reconnaissons quand même que le rôle de premier de classe comporte aussi ses acrobaties de langage, pour suggérer que le haut du panier, on l’a bien mérité, mais sans vexer ceux qui sont restés dans la nasse.

Numéro 1, l’UDC bernois Hermann Weyeneth la joue ainsi modeste et faussement interrogative — «Vous croyiez vraiment que je suis le meilleur?» sous- entendant une réponse sonore: «Jawohl Hermann!».

Médaille d’argent, la socialiste bernoise Ursula Wyss se donne la peine de trouver quelques excuses convenues aux cancres welsch: problèmes de langue et d’Arena-compatibilité.

Sur la troisième marche, le radical Felix Gutzwiller fait dans la compassion attentive: les élus latins sont sous-estimés et le rating de la SonntagsZeitung «ne prend pas en compte la question de qui fait le travail de fond». Christophe Darbellay, enfin, comme à son habitude, ne veut voir que le bénéfice concret de cette distribution de bons points, lui qui brigue la présidence du PDC suisse et déclare prendre ce classement «un peu comme un horoscope».

Reste qu’un classement élargi du cancrisme à l’œuvre sous le soleil de juillet pourrait faire figurer (entre autres) Blocher dans le rôle du menteur pris la main dans le sac de nœud albanais, après avoir accusé à tort deux requérants d’êtres «des criminels»; le rectorat de l’uni de Genève hissant le pavillon blanc de la démission in corpore; ces éleveurs valaisans laissant crever de faim leurs moutons, après avoir crier au loup toute l’année; ou encore ce sénateur italien parvenant, parmi toutes les bonnes raisons qui expliquent la défaite de la France, à trouver la seule mauvaise: une équipe «de musulmans, de Noirs et de communistes».

Traités de «fils de pute terroriste» ou pas , les cancres auront néanmoins beau jeu de faire remarquer qu’en ces temps de vacances amorphes, de crânes surchauffés, et de période post-Mondial qui s’ouvre comme un grand vide, même les bons élèves peuvent perdre les pédales.

Comme nous l’apprenait, mercredi 12 juillet, cette stupéfiante «brève»: Jürgen Kiessling, le président de l’organisation du Mondial — une vraie réussite de l’avis général — s’est tiré une balle dans la tête. Et s’est bien sûr manqué.