CULTURE

David Bowie héberge l’expo la plus controversée du moment

L’exposition «Sensation», ouverte depuis samedi au Musée de Brooklyn, a déclenché un scandale artistico-politique à l’approche des sénatoriales. On peut la visiter sur le site de Bowie.

David Bowie semble avoir trouvé un sursaut d’inspiration dans la culture cyber. Après avoir publié son dernier disque en primeur sur le Net, il héberge depuis quelques jours l’exposition d’art contemporain la plus controversée du moment sur son site. «Cette expo, c’est un truc de malade», a dit le maire de New York, Rudolph Giuliani.

Ouverte samedi, «Sensation », c’est son titre, n’en finit pas d’agiter les médias de Manhattan et du reste du monde. «Qu’est-ce qui dégoûte le plus, l’art incriminé ou la croisade de Giuliani?» s’interroge le Daily News, qui n’hésite pas à traiter le maire de «face de cul» («butthead»).

Parmi les œuvres contemporaines exposées, Giuliani s’en prend en particulier à un tableau représentant une sainte vierge noire entourée d’images de sexes féminins découpés dans des revues pornographiques et ornée de bouse d’éléphant. Son auteur est l’artiste anglais d’origine nigériane Chris Ofili, qui se présente lui-même comme catholique pratiquant et ancien enfant de chœur. Agé de 30 ans, il est le lauréat 1998 du célèbre Turner Prize britannique qui récompense le meilleur jeune peintre de l’année.

Apprécié par une majorité de ses administrés pour avoir fait baisser sensiblement la criminalité, Giuliani se sert de la culture pour faire un geste politique. Après les trottoirs et les métros, Monsieur Propre s’attaque à l’ordre moral afin de courtiser l’électorat catholique (44%), dans la perspective des sénatoriales de l’Etat de New York qui auront lieu l’an prochain. Favorable à la liberté de l’avortement, à l’immigration et aux droits des homosexuels, le républicain doit se refaire une image plus conservatrice.

Dans le New York Times, il stigmatise ainsi le «sensationnalisme commercial dégoutant » de l’expo, promet de couper la subvention annuelle de 7,2 millions de dollars que reçoit le Musée de Brooklyn et d’en annuler le bail. Le conseil d’administration du musée a immédiatement porté plainte et choisi Floyd Abrams, le plus célèbre avocat du pays spécialisé dans la liberté d’expression, pour sa défense.

Le Musée de Brooklyn a toute ses chances d’emporter la bataille juridique. Depuis l’annulation, il y a 10 ans, de l’exposition d’œuvres érotiques de Robert Mapplethorpe sous la pression des conservateurs, les tribunaux ont systématiquement donné raison aux musées. Une défaite judiciaire du républicain ravirait Hillary Clinton, sa probable adversaire aux sénatoriales.

Des centaines de milliers de personnes ont déjà vu «Sensation» à Berlin et à Londres. Ironiquement, à la Royal Academy, c’est une autre oeuvre qui avait fait scandale: le portrait de Myra Hindley (ci-dessus), multimeurtrière d’enfants, peint par Marcus Harvey avec des empreintes de mains d’enfants. Le tableau fut la cible d’œufs, d’encre et autres projectiles. On vit la mère d’une des petites victimes venir implorer les visiteurs de renoncer à pénétrer dans le musée. Commercialement, les retombées ont été positives: les 300’000 entrées qui suivirent ont permis de combler le déficit de l’institution royale. On saura bientôt si Giuliani a rendu le même service publicitaire au Musée de Brooklyn.