TECHNOPHILE

Licence globale: la mauvaise idée française

La France veut réglementer l’échange de musique en ligne par le biais d’une taxe prélevée sur les fournisseurs d’accès. Une solution maladroite pour un faux problème.

Une fois de plus, la France se la joue solo. Elle s’imagine qu’elle trouvera toute seule un remède miracle pour neutraliser l’échange de musique sur internet (peer-to-peer, ou P2P).

Ses députés sont donc en train d’inventer une curieuse «licence globale» qui, sous la forme d’une taxe prélevée sur les fournisseurs d’accès et sur le matériel de copie, permettra de compenser le manque à gagner dû aux échanges P2P.

Si cette solution est approuvée par l’Assemblée nationale, le partage de musique en ligne deviendra légal en France pendant une période transitoire de trois ans.

Les internautes pourraient alors télécharger toutes les chansons qu’ils veulent sur les plate-formes d’échange, et les sociétés de droits d’auteur, de leur côté, rétrocéderaient à leurs membres les sommes prélevées par la «taxe globale».

L’idée aurait pu paraître séduisante si elle n’était en totale contradiction avec les méthodes appliquées dans les autres pays. Du côté de l’Organisation mondiale pour la protection intellectuelle (OMPI) comme à Washington et à Bruxelles, on estime en effet que c’est en dissuadant les pirates par des voix légales, et en protégeant les fichiers musicaux avec des verrous numériques (digital rights management, ou DRM), que l’on pourra limiter les pertes financières dues au P2P.

Une directive européenne a d’ailleurs été édictée en ce sens en 2001, et c’est en cherchant à la transposer dans le droit français que les députés se sont mis à imaginer une solution alternative: dans le cas de la copie domestique (cassettes audio et vidéo), le système d’une taxe prélevée sur les supports physiques a plutôt bien fonctionné, alors pourquoi pas pour neutraliser le P2P?

Parce que l’internet ne s’arrête pas aux frontières françaises. Seule une solution concertée au niveau global permettra aux auteurs-compositeurs et à l’industrie discographique de limiter les manques à gagner dûs au P2P. Mais cette évidence n’a semble-t-il pas encore sauté aux yeux des députés de l’Assemblée nationale…

Et pendant qu’ils débattent à l’infini de leur «licence globale» franco-française, la mutation se poursuit dans la distribution de musique en ligne.

Il apparaît, tout d’abord, que l’effet du P2P sur les revenus de l’industrie musicale n’est pas aussi cataclysmique que les principaux intéressés voudraient bien le faire croire. Une étude de l’association de consommateurs Que Choisir a ainsi démontré que les internautes qui téléchargent le plus de musique gratuite sont aussi ceux qui en achètent le plus.

Le P2P joue ici un rôle comparable à celui de la radio. Beaucoup d’internautes téléchargent des chansons pour découvrir des nouveautés, et achètent ensuite en disque celles qui leur plaisent le plus, pour avoir sous la main un support physique de bonne qualité (qui joue le rôle de backup), avec pochettes, photos et informations de contexte. Le CD n’est donc pas prêt de mourir.

Surtout, en parallèle, l’industrie musicale développe des systèmes de téléchargement légaux qui sont de plus en plus populaires. L’an dernier, ce sont pas moins de 420 millions de chansons qui ont ainsi été achetées sous forme dématérialisée, soit vingt fois plus qu’en 2003.

Les professionnels du disque découvrent que l’internet — après leur avoir donné des sueurs froides en permettant le téléchargement gratuit — leur offre désormais une source de distribution extrêmement lucrative: les chansons sont toujours vendues relativement cher (99 cents), alors que les frais de production et de distribution sont en chute libre: pas besoin de payer le pressage, ni le stockage, ni le transport, ni la mise en rayon. Pas d’étiquetage, pas de vendeur et pas d’invendus.

A l’autre bout de la chaîne, la demande ne cesse de croître. Les clients, de plus en plus curieux, augmentent leur temps d’écoute et multiplient les modes de consommation musicale: baladeurs MP3, sonneries mobiles, compilations personnelles, streaming, etc.

Toutes ces innovations, qui peuvent être transposées au marché du cinéma et de la télévision, sont extrêmement réjouissantes pour l’industrie du divertissement. Elles lui permettent de moderniser son fonctionnement et de réduire ses coûts tout en lui ouvrant de nouveaux marchés.

Loin de la mettre en péril, le P2P n’aura fait que stimuler sa créativité.