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Pourquoi le Credit Suisse hisse les voiles

Le géant suisse avait besoin d’un dessin pour s’imposer sur les marchés asiatiques: il a choisi le foc. Récit complet d’une opération de relookage qui va lui coûter plus de 50 millions — sans compter la peinture des bolides de course.

Un seul visage face au marché. Le Credit Suisse a lancé la plus grande opération de relookage de son histoire en intégrant toutes ses divisions bancaires sous une seule marque et un logo unifié.

On a appris il y a quelques semaines que l’actuelle enseigne bleue et rouge sera abandonnée dès le 1er janvier 2006 pour laisser place à un logotype de style néo-classique avec deux voiles stylisées au coin supérieur droit.

Dans la cinquantaine de pays où le groupe est actif, l’ensemble des cartes de visite et du papier à lettre, les néons, les brochures ainsi que tous les accessoires de promotion devront être remplacés. Coût du chantier: entre 50 et 100 millions de francs, selon les professionnels.

Le groupe se refuse à communiquer à ce sujet — tout au plus lâche-t-il que le nouvel habillage devra exprimer «le dynamisme et l’innovation» de même que «la discrétion et le prestige» qui, selon lui, forgent son identité.

Le logo actuel de la banque, d’une grande rigueur graphique, disparaîtra donc du paysage mondial d’ici quelques mois. Il n’était pourtant pas vieux. Il avait été adopté en 1996 lorsque le groupe avait changé de nom, passant de «CS Holding» à «Credit Suisse» en débloquant pour cela un budget évalué à 60 millions de francs.

Le symbole visuel jouait alors sur la symétrie des deux mots de six lettres, superposés comme en reflet. L’enseigne s’inscrivait dans le prolongements des précédents logos de la banque, avec toujours les mêmes couleurs dominantes: le cyan et le rouge, bien connus des skieurs suisses grâce aux milliers de bonnets promotionnels distribués quand l’établissement s’appelait encore SKA (Schweizerische Kreditanstalt). C’est d’ailleurs sous ce nom qu’il avait été créé en 1856.

A l’aube de son 150e anniversaire, la deuxième plus grande banque suisse s’apprête donc une fois de plus à changer d’image, avec l’espoir de séduire ainsi davantage de clients fortunés. L’an dernier, 44% de ses revenus ont été générés par la gestion de fortune, et 23% par l’investment banking. Son ratio ROE (return on equity) a atteint 15,9%, contre 24,7% pour sa grande rivale UBS.

Sur le plan visuel, le principal changement tient à l’apparition de ces deux voiles gonflées à bloc, ces deux focs censés rappeler les grands navigateurs et évoquer une culture de pionnier.

C’est du moins ce que le Credit Suisse revendique dans sa communication officielle: il insiste sur sa «tradition d’innover», et précise que ces voiles font aussi référence à l’héritage de First Boston, la banque d’investissement américaine dont il avait pris le contrôle en 1988 et dont le logo original, encore bien connu aux Etats-Unis, représentait un clipper.

Ce que l’établissement ne dit pas, mais que les professionnels du branding mentionnent en coulisse, c’est que le Credit Suisse avait besoin d’un symbole visuel fort pour s’imposer sur les marchés asiatiques. Son logo actuel, constitué uniquement de lettres, posait problème dans des pays comme la Chine où les caractères romains restent peu familiers. Dans ce sens, le dessin d’un objet simple et universel comme une voile permet d’être reconnu d’emblée à l’échelle globale.

De la même manière que son éternelle rivale UBS est considérée — depuis sa fusion avec la SBS — comme «la banque avec les clés», le Credit Suisse veut donc se donner les moyens de devenir «la banque avec les voiles».

Ce qui ne manquera pas de provoquer une certaine confusion auprès du grand public dans la mesure où la voile est un sport que UBS sponsorise depuis des années… Mais ce risque n’a apparemment pas dissuadé la direction du groupe de hisser les grands focs.

L’autre aspect ironique du nouveau logo tient au fait que ces deux triangles ne sont généralement pas perçus comme des voiles. Sur la Bahnhofstrasse, on commence à les appeler les «Haiflossen» (ailerons), ce qui fait penser à l’univers des «Dents de la mer» plutôt qu’à celui de Christophe Colomb…

«Mais la référence inconsciente aux requins pourrait constituer un atout dans la mesure où l’agressivité est le plus souvent connotée positivement dans les milieux financiers», sourit un professionnel du branding.

Au rayon des couleurs, le nouveau logo du Credit Suisse rompt avec la tradition en abandonnant le rouge qui, associé au cyan, exprimait un caractère trop jovial, presque enfantin, aux antipodes de l’esprit que la banque veut désormais communiquer. Certes, le rouge symbolisait aussi son origine suisse, mais de manière redondante puisque cette référence est déjà signalée dans son nom.

Le nouvel habillage s’en tiendra donc à un camaïeu de gris-bleu dont la sévérité renvoie à l’univers discret de la haute finance et du private banking.

La décision de changer d’identité visuelle a été prise l’an dernier par la direction du groupe, lors de l’adoption de sa nouvelle structure organisationnelle; l’établissement, qui occupe 60’000 personnes au niveau mondial, a annoncé en décembre 2004 qu’il allait abandonner l’approche multi-marques pour regrouper toutes ses activités financières sous une seule appellation.

En clair, cela signifie que ses divisions Private Banking (gestion de fortune), Corporate and Investment Banking (banque d’investissements) et Asset Management (gestion institutionnelle et fonds de placements) seront placées dès janvier sous le même toit et le même logo.

Effet collatéral de cette réorganisation: la marque First Boston va définitivement disparaître après 73 ans de loyaux services dans le secteur de la banque d’investissement. C’est, en dix ans, la quatrième disparition d’une marque légendaire de Wall Street, après l’extinction des enseignes Salomon Brothers (rachetée par Citigroup), Dillon Read (propriété de UBS) et Donaldson Lufkin & Jenrette (acquise par le Credit Suisse en 2000 puis fusionnée avec First Boston).

Ces dernières années ont été mouvementées pour Credit Suisse First Boston. L’établissement a vu ses revenus chuter de 31% depuis les résultats records de 2000. Et l’an dernier, l’un de ses anciens spécialistes en investissements technologiques, le banquier vedette Frank Quattrone, a été condamné à 18 mois de prison pour avoir fait obstruction à la justice new-yorkaise dans le cadre d’une investigation des autorités de régulation.

La nouvelle stratégie, qui intègre l’investment banking dans une approche bancaire globale, implique une véritable révolution culturelle pour la division new-yorkaise. Dans ce sens, le changement d’identité visuelle l’aidera à tourner la page.

Ce grand lifting du Credit Suisse a été confié à l’une des plus prestigieuses compagnies de branding, Enterprise IG, qui emploie environ 550 personnes au niveau mondial. L’agence s’était fait remarquer récemment en redéfinissant l’identité de Nations Bank Corp et en lui recommandant d’adopter le nom de Bank of America après le rachat de cet établissement bénéficiant d’une marque plus forte et d’une plus grande notoriété que la sienne. L’opération avait été suivie de très près par les spécialistes du branding bancaire.

A la fin de l’année dernière, la direction du Credit Suisse a donc confié au bureau londonien d’Enterprise IG (environ 140 collaborateurs) une mission qui ne se limitait pas à la création d’un logo: il s’agissait de participer à la redéfinition des valeurs fondamentales de la banque et au remodelage complet de sa marque.

Une petite équipe de six collaborateurs d’Enterprise IG a donc été mobilisée pour mener une enquête à la fois quantitative et qualitative auprès des collaborateurs et clients de la banque dans toutes les régions où elle est active. Cette étude a été effectuée dans l’ensemble des départements, afin d’évaluer la manière dont le Credit Suisse et ses concurrents sont perçus.

L’enquête a permis d’établir une grille des forces et faiblesses du groupe, à partir de laquelle les valeurs, la marque puis le logo ont pu être redéfinis.

«Nos valeurs peuvent désormais être décrites en trois points, résume Marc Dosch, porte-parole du Credit Suisse à Zurich: la concentration sur les besoins du client, un travail en équipe basé sur l’échange de know-how entre collaborateurs, ainsi que le respect de standards élevés en matière de réputation.»

Pour exprimer ces valeurs de distinction, les graphistes d’Enterprise IG ont opté pour une typographie de type néo-classique, dessinée à la main pour l’occasion et réservée au logo; cette fonte originale ne sera pas utilisée à d’autre fin que l’enseigne.

Les communications traditionnelles du Credit Suisse continueront à être écrites avec la typographie akzidenz grotesk. Quant aux thématiques visuelles, elles déclineront la métaphore abordée par le symbole des voiles: l’eau, les éléments liquides, la fluidité devront être utilisées dans les prochaines communications du groupe, de manière allusive plutôt que littérale.

Le groupe ne va pas pour autant abandonner son sponsoring dans le milieu de la Formule 1, contrairement à ce que l’on aurait pu croire lors de l’annonce du rachat de son poulain Sauber par BMW.

Car si la banque a confirmé que les actions qu’elle détient dans Sauber Holding AG seront effectivement vendues à BMW, elle a aussi précisé, par la voix de son membre du conseil exécutif Urs Rohner, qu’elle resterait «partenaire officiel de l’équipe pendant les trois prochaines années.» Seul (petit) problème: elle devra ôter son ancien logo des bolides, et faire peindre sa voilure à la place.

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Plusieurs grandes sociétés suisses ont procédé ces dernières années à des changements de nom, complets ou partiels. Elles ont débloqué pour cela des budgets important : Swiss (80 millions de francs), UBS (50 millions), Novartis (45 millions), Holcim (20 millions), Swisscom (20 millions), Centerpulse (12 millions), Valora (1 million).

En 1996, le changement de nom de CS Holding à Credit Suisse avait coûté 60 millions de francs à la grande banque suisse, selon la Handelszeitung.

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Une version de cet article a été publiée dans le mensuel Private Banking de septembre 2005.