CULTURE

«L’inceste» n’est pas le roman à la mode de la rentrée

Tout le monde parle de Christine Angot et de son dernier ouvrage, «L’inceste». Un roman impudique? L’impudeur n’existe pas en littérature.

C’est un roman qui n’a pas l’air d’en être un. La narratrice dit «je» et s’appelle Christine Angot. Est-ce pour autant une confession, une autobiographie? Très vite on n’en est plus très sûr. Et c’est ce jeu entre réalité et fiction qui a construit «L’inceste», dernier ouvrage de l’écrivain français Christine Angot.

«Elle est pas un peu folle?» Voilà ce qu’on dit de Christine Angot. Le titre de son livre choque. Ses mots dérangent. Sa façon d’envoyer paître le monde entier aussi. Que raconte-t-elle de si scandaleux? Une liaison homosexuelle et désespérée: «Quand on dit touche-moi… Bon j’ai mis mon doigt. On n’a jamais l’occasion de toucher quelque chose de pareil. […] Quand j’ai senti comme c’était gluant! J’ai retiré ma main. C’était particulier. Trop particulier.»

De sa fille: «Ma petite chérie de cinq ans et demi. Tu es mon amour. Je sais que tu le sais, que tu es mon amour. Mon grand amour.» Et: «Je cherche de l’aide pour Léonore, je suis allée voir hier une psychologue. Qui m’a traitée comme si je l’avais battue pendant un an. Je venais à peine de prendre conscience des bleus, il fallait arrêter.»

De son père: «Et puis, je suppose qu’il a fallu aller sous les draps, à un moment donné, il a dû le proposer. C’est allé plus loin, il m’a touché le sexe […]. Il a dit: tu sais pourquoi c’est mouillé? Parce que tu aimes. Je regrette d’avoir découvert la mouillure dans une telle circonstance.»

L’auteur raconte aussi, et très bien, la lente descente aux enfers de qui se sent devenir fou, l’angoisse délirante de qui souffre de paranoïa, la douleur de vivre: «Je téléphone. Elle, je ne peux pas compter le nombre de fois. Je rappelle. Je raccroche. Je rappelle pour dire « et puis surtout, ne me rappelle pas ». « Je ne veux plus t’entendre. » On ne me rappelle pas. Je rappelle. Je dis: « Tu aurais pu me rappeler. »»

Christine Angot refuse qu’on la traite d’impudique, rappelant que cette notion n’existe pas en littérature. Ce n’est pas l’avis de tout le monde puisque l’avocat de sa maison d’édition lui a demandé de retirer les vrais noms de ses proches, qui sont aussi les protagonistes de son roman, par crainte des plaintes pour diffamation. L’auteur a immédiatement inclus l’anecdote, et la lettre de l’avocat, dans son texte.

Ce jeu constant sur la réalité est déroutant mais salutaire, car il nous rappelle qu’on ne doit pas chercher la réalité dans la littérature, même si un livre est basé sur un matériau autobiographique. Parce que c’est de la littérature, «L’inceste» est bien plus intéressant que les faits qu’il pourrait raconter comme une confession. Dans sa façon, par exemple, de toujours s’adresser au lecteur qui le force à sortir d’un monologue trop fermé. Dans sa façon de mettre le texte en scène, lorsque la narratrice lit au téléphone un passage du livre que le lecteur a lu peu avant.

L’auteur multiplie ainsi les mises à distance, regardant son texte en train de se faire, expliquant ses choix narratifs, justifiant l’originalité de sa ponctuation. Ces mises en garde permanentes, qui jonchent le récit, rappellent au lecteur qu’il ne s’agit pas d’un témoignage mais d’un roman. En ceci, dans cette manière de toujours revenir sur une phrase, une idée, pour la décortiquer, la présenter sous différents aspects, révéler des mots que d’autres cachaient, Christine Angot est un véritable écrivain. Sa voix s’affirme ouvrage après ouvrage. «L’inceste» n’est pas le roman à la mode de la rentrée, mais le fruit d’un long travail austère, et sincère.

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«L’inceste», de Christine Angot. Editions Stock, 217 pages.