La passion du commerce lui est venue quand il était enfant, en collectionnant les billes. Il raconte comment il s’est hissé au sommet du marché romand de l’immobilier — sans ordinateur.
«Un monsieur moustachu donnait des ordres, et les ouvriers s’exécutaient.» C’est ainsi que Bernard Nicod raconte son premier contact avec le monde de l’immobilier.
«Mes parents faisaient construire une villa au bord du lac, dans les années 50, et j’étais littéralement fasciné par l’architecte. Pour moi, c’était lui le chef de la construction. Il donnait des directives sur les matériaux, les couleurs, et la maison prenait forme. Pour mes yeux de petit garçon, c’était un peu le seigneur.»
Aujourd’hui, quand il se trouve sur un terrain, Bernard Nicod se comporte à la manière de cet architecte de son enfance: il choisit tout, jusqu’au plus infime détail, comme les poignées de portes. D’où la rutilante «griffe BN» qui fait la fierté de l’homme d’affaires, devenu le numéro 1 de l’immobilier en Suisse romande.
Il a toujours été fasciné par le business. «J’étais le plus grand propriétaire de billes de mon école. Et j’ai même voulu organiser une loterie, mais la maîtresse me l’a interdit.»
Le lieu magique de son enfance? Le grand magasin lausannois L’Innovation, où il entrait «comme on entre en religion. Pour moi, c’était le temple du commerce, un vrai monument, le Harrod’s lausannois. Ce qu’ils y vendaient me passionnait.»
L’entrepreneur vaudois commence d’ailleurs sa carrière en vendant toutes sortes d’articles, des chemises aux objets militaires. «J’étais le mouton noir de ma famille, où l’on est médecin de père en fils».
Cet intérêt pour la vente, Bernard Nicod le concrétisera à grande échelle en se lançant dans l’immobilier. Pour lui, «c’est une véritable vocation, un don du bon Dieu que je mets simplement en pratique.» Il conclut sa première affaire en trouvant un acquéreur pour un immeuble en vente depuis plus de deux ans.
«J’étais stagiaire chez un gentleman arménien de l’immobilier, un homme très cultivé, qui me considérait comme son fils. J’avais tellement d’idées que je bouillonnais, je ne tenais pas en place, j’étais totalement passionné par mon activité.»
Constatant la mollesse du directeur des ventes, il demande à son patron de le placer dans ce service. En guise de défi, on lui confie le dossier d’un immeuble invendable.
«J’ai alors convoqué huit jolies copines à qui j’ai donné un appareil téléphonique à chacune, et elles ont appelé tout le canton de Vaud jusqu’à ce que l’on trouve un acheteur. Finalement, une dame a acheté l’immeuble. Et quand mon directeur m’a demandé comment j’avais fait, je lui ai simplement répondu: je me suis battu.»
Les ventes passent alors de 8 millions à 54 millions par an, et, de stagiaire, Bernard Nicod devient associé.
Après quelques années, il ouvre sa propre entreprise, Nicod et Perret, qui doit bientôt être rebaptisée quand son associé part à la retraite.
«Alors que je cherchais une nouvelle raison sociale, un client, grand homme de l’immobilier vaudois, m’a dit : vous avez un beau nom, et à votre âge — j’avais 28 ans –, vous vous êtes déjà fait un prénom: le nom de votre entreprise est donc tout trouvé.»
Le groupe Bernard Nicod occupe aujourd’hui 1350 employés sur les chantiers et 240 dans les bureaux. «Sur ces 240 personnes, seules deux n’utilisent pas d’ordinateur: le chauffeur et moi-même. J’ai tout dans la tête, pas besoin de technologie!»
Travailleur compulsif, le seigneur romand de l’immobilier s’inquiète de voir le nombre d’indépendants régresser dans le canton de Vaud. «Sur 100 candidatures que je reçois, je dois en rejeter 97, dit-il. Nous rêvons d’engager 20 à 30 jeunes qui en veulent, compétents et bosseurs, et qui désirent s’investir dans un travail qu’ils aiment. Mais on ne les trouve pas.»
«J’ai eu la chance d’avoir des maîtres, que ce soit dans mon métier, à l’armée ou au CIO où j’étais très proche de Juan Antonio Samaranch. J’ai toujours beaucoup travaillé et ils m’ont donné ma chance. J’aimerais à mon tour transmettre cela, car j’ai un esprit patrimonial.»
Homme de goût qui ne se sent ni matérialiste, ni mondain, et plutôt casanier, le roi de la brique n’a pas déménagé de son «appartement dans une maison sublime» depuis… 30 ans! Bernard Nicod aime voyager pour son plaisir, notamment en Italie («pour sa qualité de service»). Il revient d’ailleurs de Rome, où il a été invité à la cérémonie d’intronisation du nouveau pape. Et il adore l’Afrique.
Paradoxal pour un homme d’affaires, Bernard Nicod n’apprécie pas la mentalité anglo-saxonne, ni la mondialisation. Sensible aux causes humanitaires, il a été bouleversé en visitant le centre de Mère Teresa à Calcutta.
«Le fossé Nord-Sud découlant de la mondialisation actuelle est pour moi une préoccupation, un appel. Quand j’aurai le temps de recentrer mes réflexions, j’y consacrerai de l’énergie. Et je n’entends pas forcément finir ma vie dans un pays qui a plus de 4’000 lois sur l’immobilier!»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Immostreet de juin 2005.