Dans «Le souffle du désert», treize hommes partent dans les dunes en quête de leur identité masculine. Ce documentaire romand, actuellement à l’affiche, a été très applaudi. Où est passé l’esprit critique?
L’expérience apparaît aussi mollement tentante qu’un soft ice: aller regarder au cinéma treize hommes qui se cherchent dans les sables du Sahara.
Nous, les femmes, nous sommes déjà beaucoup cherchées ces vingt ou trente dernières années, mais sur des divans en ville et à la campagne. Eux, de vrais pionniers, ont pris l’avion et sont partis errer sur quelques kilomètres carrés au pied des dunes. Ils ont dû avoir chaud, beaucoup suer et rougir. L’image filmée sera donc différente des souvenirs laissés par notre longue expérience. On y va.
«Le Souffle du désert» passe en première mondiale au festival Visions du Réel à Nyon devant une salle de toute évidence acquise à la thérapie de groupe: ça s’embrasse beaucoup dans la salle avant la projection.
La majorité des treize «acteurs» sont là, avec amis amies. A la fin de la projection, comme si le film ne leur avait pas suffi, ils sortent du rang et s’exhibent encore sur scène.
Quelques femmes leur crient «bravo, on est fières de vous», ils sont tout contents. La réception du film est donc familiale et gentillette mais la presse romande enflera le phénomène par la suite, parlant d’une «ovation» suivie d’un «débat de quarante minutes»!
Mes voisins et moi n’avons pas levé la main pour dire combien cette projection nous a semblée gênante: s’exhiber à notre tour devant tant de spectateurs apparemment transformés par la dynamique de groupe semblait risqué mais surtout inutile.
Quelques jours plus tard, les critiques apparaissent dans les journaux: un concert d’applaudissements troublé par le seul féminisme aigre et déplacé d’une journaliste de Femina.
Les autres saluent l’événement: des hommes, «enfin», se remettent en question et osent montrer un corps imparfait. Aucune analyse du film, rien, comme si ce «Souffle» sidérait l’esprit critique!
Et pourtant, il convient tout de même de distinguer le film de l’expérience vécue.
Que des hommes aillent se développer l’âme et le cœur dans les sables est leur affaire. Par contre, qu’avec un psy complaisant, le cinéaste François Kohler tende vers l’expérience une caméra omniprésente transforme radicalement la donne. Le film n’en tient pas compte, reste au ras de l’intimité dévoilée sans la situer et frise ainsi souvent le pathétique.
Les femmes se cherchent depuis des décennies sans filmer ce processus pour autant. Rentabiliser ses émotions en collectionnant les images d’un narcissisme en mutation me semble plus représentatif de la gent masculine.
Et du coup, un processus qui peut être libérateur, à savoir exprimer devant d’autres ses souffrances, ses doutes et ses désirs, devient désagréablement exhibitionniste. Ceci parce qu’à aucun moment, le film ne s’interroge sur lui-même, ne fait la part des choses entre le cheminement intime des protagonistes et son utilisation médiatique.
La bande des treize, menée par un psy très kitsch sous son chapeau de paille, semble trouver tout naturel de donner ainsi son intimité en pâture et de transformer immédiatement l’expérience en faire-valoir.
On se dit donc qu’une carapace émotionnelle encore très solide doit rendre ces hommes capables de dévoiler sans distance leurs cris de douleurs et zizis quinquagénaires à des millions de spectateurs potentiels.
On se dit aussi que François Kohler, acquis à la cause bien sûr, a encore un bout de développement personnel à faire pour imaginer un film plus respectueux. Alors peut-être, le fait de documenter l’apparition des hommes dans une histoire, celle de la transformation intime en groupe, initiée par les femmes, deviendra autre chose que le compte-rendu d’une réunion exhibitionniste dans le désert.