LATITUDES

Mon imposture au Bal des Débutantes

Pomponnée et pimpante, Sophie Balbo s’est infiltrée parmi les candidates au titre de Miss Printemps, au bal présidé par la baronne de Rothschild. Elle raconte.

«Alors vous! Vous n’épouserez pas le prince William», me lance Nadine de Rothschild. Ma manière de faire la courbette ne l’a pas convaincue. «Tenez-vous droite, regardez devant vous, pliez la jambe arrière, souriez et donnez-vous de la peine», commande-t-elle, souriante, mais ferme.

Nous sommes toutes réunies dans la grande salle de l’Hotel President Wilson, à Genève, pour préparer l’événement. Lors de la sélection, je me suis fait passer pour une étudiante de 22 ans, alors que j’en ai cinq de plus. Jusqu’ici, personne ne s’est aperçu de ma supercherie de journaliste embarquée.

Autour de moi, les vingt-trois autres candidates, de 16 à 22 ans — dont certaines n’ont pas l’air plus débutantes que moi — s’apprêtent à défiler en présence d’Alain Delon et de Leslie Caron avec l’espoir d’être élue Miss Printemps 2005.

Après dix-neuf ans d’interruption, le Bal des Débutantes est donc relancé ce lundi 21 mars 2005 par Erika Wanner dans le cadre de son traditionnel Bal du Printemps pour la Fondation internationale de recherche en paraplégie (IRP). Une des candidates me glisse à l’oreille qu’elle ne se serait pas inscrite sans cette levée de fonds pour une bonne cause.

Nous avons été informées que le précédent Bal des Débutantes, déjà présidé par Nadine de Rothschild, avait débouché sur onze mariages. C’était en 1986. Va-t-on faire mieux cette année? Dans tous les cas, «vous devrez être parfaites», prévient la baronne. Parce que le clou du spectacle, c’est nous, les jeunes filles.

Arrivées à 19 heures, nous prenons d’assaut une salle annexe où maquilleurs et coiffeuses nous dotent des artifices nécessaires à notre entrée dans le grand monde. On se bouscule pour passer avant les autres. On se toise, on se compare, on préfère ses cheveux artificiellement bouclés à ceux de sa voisine, on se déplace stratégiquement pour tomber par hasard devant l’objectif des photographes. «Moi, je suis sûre qu’ils ont déjà choisi Miss Printemps», lâche une débutante dépitée. Les autres n’ont pas l’air d’être particulièrement motivées par la compétition.

Nous enfilons les robes à la dernière minute, afin de ne pas les froisser. Nous avons toutes suivi scrupuleusement les recommandations de Nadine de Rothschild: petites perles aux oreilles, pas de lunettes ni de cheveux gras, pas de bijoux ni de soutien-gorge, parce qu’à notre âge «ça tient tout seul».

Issues pour la plupart de grandes familles de la place, les candidates se remettent un coup de pinceau avant leur entrée sur scène. L’excitation monte. Nous nous plaçons en file dans le couloir, chacune à côté de son cavalier. Le mien n’est pas bavard. Je me demande s’il prend l’événement au sérieux. «Ce bal, c’est un super plan drague», a dit un débutant tout à l’heure.

«Veuillez les applaudir bien fort, ces filles sont très intimidées», affirme la baronne, debout sur scène dans une tunique verte originale. Nous sommes tour à tour menées sur le devant de la scène par Emilie Boiron (ex-Miss Suisse romande) et Darius Rochebin, à l’appel de notre nom et de notre pays. Car si la plupart des participants sont Genevois, certains sont originaires des Etats-Unis, de Suède, France, Italie et Monaco. Les parents sont là, debout, petits appareils numériques en main.

Après plusieurs heures de préparation, cette procession de demoiselles aux allures de défilé Pronuptia ne prend qu’une dizaine de minutes. Suite à quoi un couple ouvre le bal. Les garçons se concentrent pour ne pas marcher sur les robes voluptueuses. Quelques impacts, des rires crispés. Les couples semblent intimidés par le regard du public et des people que l’on s’imagine assis dans la salle. C’est là que certains danseurs regrettent de n’avoir pris au sérieux les trois cours de valse que nous avons dû suivre au préalable.

L’élection de Miss Printemps et de ses deux dauphines met fin au suspense. Nous pouvons nous détendre, les violons cèdent leur place à l’orchestre disco. Certaines filles vont se changer, frustrées de l’éphémère de leur rôle de princesse. D’autres restent à discuter avec leur cavalier. Les numéros de téléphone s’échangent.

«J’étais venu ici par curiosité, et pour porter un beau costume, me confie un débutant de 17 ans. Mais là, je pense que je reverrai ma cavalière…»