«La création de microentreprises permettra seule d’espérer voir s’installer un développement juste et durable», estime Jacques Attali, fondateur de PlaNet Finance.
Il a conseillé François Mitterrand pendant dix ans. Il a aussi composé des chansons pour Barbara, dirigé la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, écrit près de trente bouquins, dont un essai musicologique, un roman de science-fiction et une pièce dramatique créée par Depardieu au Théâtre de Paris.
Rien n’effraie Jacques Attali, 55 ans. Sa dernière ambition est de développer «une nouvelle approche au défi de la pauvreté dans le monde», dixit le site internet de PlaNet Finance, l’organisation qu’il vient de créer. Michel Rocard, Bernard Kouchner et le président sénégalais Abdou Diouf participent au projet. Objectif affiché: utiliser internet pour créer des liens entre tous les acteurs du microcrédit.
Inventé par Muhammad Yunus, le microcrédit est une façon de prêter de l’argent aux individus les plus pauvres sans passer par des structures gouvernementales. Il s’agit de petits crédits, à court terme et faible taux d’intérêt, accordés exclusivement à des fins de création de microentreprises.
La formule est très à la mode, presque trop. Des effets pervers apparaissent déjà. «Tout le monde veut faire du microcrédit, explique-t-on au siège d’Epargne sans frontières, à Paris. Et cela crée des problèmes de concurrence. Il s’agit d’un métier à part entière, personne ne peut s’improviser financier. Il arrive que des organisations subventionnées proposent des crédits gratuits puis disparaissent d’un coup».
C’est pourtant bien parce que le microcrédit fonctionne qu’il donne lieu à un effet de mode. «Et c’est ce qu’il faut retenir, estime Geneviève N’Guyen, spécialiste du microcrédit au Centre français de coopération internationale en recherche agro-alimentaire pour le développement (CIRAD). Cela n’a pas seulement un impact sur la création d’activités économiques, mais des retombées sociales importantes en touchant d’abord les individus, puis les ménages, puis les villages… On peut aujourd’hui dresser un bilan très positif de l’expérience. Cela dit, il faut réfléchir à la professionnalisation.» Ce qui n’est pas simple: les compétences bancaires traditionnelles ne peuvent pas toujours s’appliquer au microcrédit. L’idéal, pour Geneviève N’Guyen, serait de créer une profession avec une filière d’études spécifique.
Au département Microfinance de la CNUCED (Conférence des nations unies sur le commerce et le développement), à Genève, Franck Grozel rappelle combien le microcrédit permet de restaurer une dignité aux plus démunis. Deux théories s’affrontent pour pérenniser le système et limiter les effets pervers: soit injecter de l’argent massivement dans les ONG qui font du microcrédit pour leur permettre de toucher les quelques trois milliards d’exclus qui peuplent la planète; soit renforcer d’abord institutionnellement ces organisations pour qu’elles puissent faire de la microfinance. C’est à dire des services d’épargne ou d’assurance.
«Il faut donner à chacun les moyens de créer son propre emploi, écrit Jacques Attali sur le site de PlaNet Finance. Le salariat n’est pas une solution. La création de microentreprises permettra seule d’espérer voir s’installer un développement juste et durable.» Le microcrédit ne serait-il qu’un prétexte pour glorifier le capitalisme en hissant la création d’entreprise au rang de panacée universelle? «On peut se poser la question, reconnaît Geneviève N’Guyen. Mais il fallait bien trouver une solution au désengagement des Etats en matière d’aide aux pays du Sud.»
Le but de PlaNet Finance est de «mettre toutes les potentialités d’internet au service du développement du microcrédit», notamment en apportant un soutien aux ONG sur le terrain. L’organisation de Jacques Attali se décline en plusieurs entités, qui ne sont pas toutes opérationnelles pour l’instant. Planet Rating propose des évaluations pour créer des certifications de qualité, Planet Library un centre d’information, Planet University un centre de formation, Planet Research un centre de recherche, Planet Systems l’octroi de matériel informatique et Planet Bank des ressources financières destinées aux institutions de microfinance.
«Le projet initial, en 1997, était simplement de faire du microcrédit sur internet, se souvient Arnaud Ventura, directeur général de PlaNet Finance. Nous nous sommes rapidement aperçus que les besoins étaient plus larges.» Une étude pilote menée au Kenya a montré que des besoins existaient en matière de formation, d’évaluation et d’information. «Nous avons donc décidé de créer d’autres entités en plus des services financiers, poursuit Arnaud Ventura. Après avoir reçu le soutien de différents partenaires, nous avons lancé PlaNet Finance en novembre 98. Les services doivent être mis en place en deux ans, en commençant par le rating.»
Selon Arnaud Ventura, la bibliothèque sera opérationnelle fin septembre, la première formation sur le terrain aura lieu en automne et, avant la fin de l’année, des formations en ligne devraient être disponibles. Pour l’instant, Planet Finance vit à 80% de dons privés. L’organisation de Jacques Attali a reçu des subventions de l’agence de la francophonie et de la Banque mondiale.
Le projet de PlaNet Finance est plutôt bienvenu, estime Franck Grozel, de la CNUCED. Il est utile d’apporter de l’information. Mais c’est un projet récent et peut-être ont-ils besoin d’affiner leurs objectifs, car pour l’instant, on a l’impression qu’ils veulent tout faire. Cela dit, je suis prêt à parier qu’ils vont trouver leur place.»
Le projet de PlaNet Finance n’est-il pas un peu trop ambitieux et, en cela, en contradiction avec l’esprit même du microfinancement, qui prône des actions concrètes, modestes et à court terme? Le directeur général, Arnaud Ventura, s’en défend: «Nous avons pensé qu’il était mieux de prendre le problème de façon globale. Chaque entité de PlaNet Finance est liée aux autres.»