KAPITAL

Des voitures qui roulent à l’huile de friteuse

L’entreprise genevoise Biocarb fabrique du diesel avec de l’huile végétale, récupérée notamment dans les restaurants. Un carburant d’avenir.

C’est dans une ancienne usine pharmaceutique de La Plaine, dans la campagne genevoise, que se cache une entreprise pionnière du recyclage énergétique en Europe. Biocarb produit du carburant diesel à partir d’huiles alimentaires usagées, provenant notamment des friteuses de restaurants. Son processus de production comporte plusieurs phases.

«Nous devons préalablement nettoyer et filtrer les huiles récupérées, qui contiennent toutes sortes de déchets: éponges, frites, produits de vaisselle ou eau», explique François Fleury, l’un des deux fondateurs.

Avec son associé, le chimiste Iwan Abbatiello, il a mis au point une technique qui facilite le filtrage et standardise la composition du liquide final. «C’est important car, au départ, les huiles alimentaires sont très différentes. En Suisse alémanique par exemple, on utilise davantage de saindoux, alors que les restaurateurs chinois cuisinent à l’huile de sésame. Les produits réactifs que nous avons mis au point équilibrent ces mélanges.»

Après le biocarburant provenant d’huile de colza, la production de l’entreprise de La Plaine constitue donc une autre alternative originale au diesel.

C’est dans toute la région genevoise que Biocarb, qui compte quatre employés, récolte ses huiles usagées brutes. Elle obtient cette matière première à bon compte des entreprises de ramassage que les restaurateurs doivent payer pour le transport et le recyclage de leurs huiles. Mais les quantités restent modestes, et pour augmenter sa production, Biocarb achète par ailleurs des huiles récoltées dans toute la Suisse et préalablement filtrées et nettoyées par l’entreprise Ekura basée à Hochdorf (ZH).

Avec cet approvisionnement, la société genevoise peut fabriquer un biodiesel qui sera commercialisé au prix de 1,25 franc à la pompe.

L’activité de Biocarb a démarré en juillet 2003 et l’entreprise a atteint l’équilibre économique en mai 2004. «Nous sommes des Verts modernes, on ne pense pas que la solution consiste à faire rouler tout le monde à vélo, résume François Fleury. La beauté du biocarburant, c’est qu’il n’implique pas de changement, ni dans le comportement de l’usager ni dans le moteur diesel de sa voiture.»

Comme le diesel de colza, celui de Biocarb peut s’utiliser pur ou dilué, avec un équipement diesel classique. Généralement, les constructeurs automobiles ne garantissent les moteurs que si le taux de biocarburant dans le mélange ne dépasse pas 5%, même si la performance n’est pas affectée. S’il entraîne une légère différence d’efficacité calorifique (2 à 5%), le biocarburant a un effet lubrifiant et il génère moins de particules.

Sur les douze derniers mois, Biocarb a produit 1,5 million de litres de biocarburant. «Notre capacité peut monter jusqu’à 3 millions de litres sans problème, mais nous sommes limités par les quotas. Nous avons des concurrents pour le recyclage: une grande quantité d’huile végétale usagée continue d’être utilisée pour le fourrage.»

Pour l’instant, le biodiesel de Biocarb n’est distribué qu’à des professionnels (notamment pour les machines de chantiers ou transporteurs routiers). «Pour atteindre le grand public, nous discutons avec les grands pétroliers, dont Total, Shell et BP Suisse, poursuit François Fleury. Un terrain d’entente devrait être trouvé d’ici à quelques semaines.»

Aujourd’hui, seuls Flamol (huit pompes dans la région bernoise) et Migrol distribuent du biocarburant en Suisse. Le «Greenlife Plus», vendu dans certaines stations Migrol, contient 5% de biodiesel. Mais Migros utilise une huile de colza importée d’Allemagne, car la production suisse n’est pas suffisante. C’est que la Confédération, qui ne taxe pas le biodiesel, en limite la production à 5 millions de litres par an, par crainte de voir chuter ses recettes fiscales. Cela pourrait changer prochainement.

«La volonté politique est désormais clairement de favoriser le développement de ces énergies alternatives, dit Pascal Presidoli, directeur de la division stratégie et politique de l’Office fédéral de l’énergie. C’est aussi un choix économique, car les études montrent que les retombées sur l’agriculture et l’emploi compensent le manque à gagner fiscal.»

De fait, l’argentier de la Confédération peut dormir tranquille: «La taxe sur le diesel non écologique sera légèrement augmentée afin de compenser le manque à gagner. L’opération ne changera donc rien pour les caisses fédérales.»

La libéralisation complète du marché, qui autorisera l’importation de biodiesel de l’étranger et entraînera la suppression des quotas de production en Suisse, est prévue pour 2007, en coordination avec l’Union européenne.

«Il est même possible que l’on abolisse les quotas avant», ajoute Pascal Presidoli. Une évolution qui réjouit les fondateurs de Biocarb: «Le potentiel est énorme car, pour l’instant, seule une proportion minime des huiles est transformée en carburant. En Suisse, on pourrait recycler 6 à 10 millions de litres par année.»