CULTURE

Cannes 2004, le monde en dix-huit films

En ouvrant sa sélection officielle au documentaire militant et à l’animation numérique, le 57e Festival de Cannes reflète l’évolution de l’époque. Présentation des candidats à la Palme.

Jean-Luc Godard avec «Notre musique», Quentin Tarantino avec «Kill Bill 2», Abbas Kiarostami avec «Five» ou Zhang Yimou avec «Flying Daggers» sont parmi les quelques noms prestigieux de la sélection officielle du 57e festival de Cannes. Présentés hors compétition, ils ne peuvent donc pas espérer figurer au palmarès.

De même Pedro Almodovar et sa «Mauvaise Éducation», magnifique film noir et âpre qui ouvre les feux de la manifestation. Avec ce drame semi autobiographique, le cinéaste madrilène quitte le monde des femmes, par nature porteuses de vie, pour celui des hommes. Le film (sortie en Suisse le 12 mai), construit selon la logique des poupées russes, raconte l’histoire de deux garçons, Ignacio et Enrique, qui découvrent l’amour, le cinéma et la peur dans une école religieuse de la période franquiste. C’est la première fois qu’un film espagnol fait l’ouverture du festival de Cannes.

A propos de la compétition, le président du jury, Quentin Tarantino, a précisé que la Palme d’Or sera choisie selon des critères purement cinématographiques. Aucune considération politique ou stratégique n’interviendra dans le choix, a-t-il promis. Les dix-huit films suivants sont en compétition.

1) «2046» de Wong Kar-Wai (Hongkong)

Le film devait être terminé l’année dernière à la même époque. Mais des difficultés de production liées à l’épidémie de pneumopathie l’ont retardé d’un an. «2046», film d’anticipation tourné dans plusieurs pays d’Asie, a été commencé en même temps et avec les mêmes acteurs que «In the mood for love». Maître de l’improvisation et du work in progress (ses scénarios s’écrivent souvent au montage), Wong Kar-Wai a l’habitude de tout faire à la dernière minute et de «découvrir» ses films seulement à leur projection. «Jamais rien n’est décidé, jamais rien n’est terminé!» pourrait être sa devise.

On ne sait donc rien de «2046» sinon que son titre fait allusion aux cinquante ans durant lesquels la Chine a promis de ne pas changer le statut de Hong Kong. Projet ambitieux, forcément lyrique et post-moderne, «2046» devrait logiquement se retrouver au palmarès. Et ce d’autant plus que le cinéaste de «Chungking Express» a toute l’admiration de Quentin Tarantino, qui l’a distribué aux Etats-Unis

2) «Clean», d’Olivier Assayas (France)

Olivier Assayas, ancien critique aux Cahiers du Cinéma, a déjà présenté deux films en compétition: «Les Destinées sentimentales» et «Demonlover.» Le réalisateur d’«Irma Vep» est un des rares à échapper au syndrome du cinéma français: l’intimisme psychologique et a-historique. Ses films, souvent de genre et profondément contemporains, ont des ambitions internationales, autant dans les sujets traités (le sexe marchand, les technologies, la globalisation) que dans leur distribution.

«Clean» raconte la résurrection d’une junkie entre Paris et les Etats-Unis. Maggie Cheung, compagne d’Assayas et actrice fétiche de Wong Kar Waï (elle est aussi dans «2046») double ses chances de remporter un prix d’interprétation. Béatrice Dalle, Nick Nolte, Jeanne Balibar et Tricky monteront les marches pour le Français le plus palmable de la compétition.

3) «Comme une image», d’Agnès Jaoui (France)

Le succès du «Goût des autres», mais aussi sa fonction de porte-parole des intermittents, vaut à la scénariste-actrice Agnès Jaoui de se retrouver en compétition cannoise pour son deuxième film. «Comme une image» raconte l’histoire d’êtres humains qui savent très bien ce qu’ils feraient s’ils étaient à la place des autres mais qui ne se débrouillent pas très bien à la leur. On sait Agnès Jaoui excellente dans la direction d’acteurs. Son complice Jean-Pierre Bacri trouvera-t-il sur la Croisette un prix d’interprétation? Ou faut-il miser sur une nouvelle venue: Marilou Berry, la fille de Josiane Balasko, dont c’est le premier rôle à l’écran?

4) «Diaros de Motocicleta», de Walter Salles (Brésil)

Fils de banquier, Walter Salles, 48 ans, a grandi en France et aux Etats-Unis avant de s’installer définitivement au Brésil durant son adolescence. Documentariste à la fin des années 80, il passe à la fiction en 1991. Mais la crise économique du pays met un frein à sa carrière. Walter Salles redevient documentariste pour le compte de la télévision européenne tout en restant au Brésil. «Central do Brasil», roadmovie émouvant d’une vieille dame et d’un petit garçon, le consacre internationalement. Inspiré de son documentaire «Soccoro nobre», le film est prétexte à dénoncer la misère de la population brésilienne.

Avec «Diaros de Motocicleta», Walter Salles se penche sur un épisode de la jeunesse de Che Guevara: son périple à moto dans les montagnes sud-américaines. Le rôle est tenu par Gael Garcia Bernal, également à l’affiche du film d’Almodovar. Cannes devrait servir de tremplin à celui que l’on appelle le nouveau Tom Cruise hispanique.

5) «Exils», de Tony Gatlif (France)

Gitan d’origine andalouse, Tony Gatlif, 56 ans, débarque à Marseille en 1962 après avoir quitté son Algérie natale. Entre délinquance et maison de redressement, il apprend à lire et à écrire à 14 ans. Sa rencontre avec Michel Simon le pousse sur la scène du TNP.

Depuis 1975, Tony Gatlif a réalisé une quinzaine de films, dont son triptyque sur le peuple rom («Les Princes», «Latcho Drom» et «Gadjo Dilo»). Avec «Exils», film sur l’errance et la musique, le cinéaste naturaliste renoue avec sa terre natale, l’Algérie. C’est la première fois qu’il est sélectionné à Cannes.

6) «Fahrenheit 9/11», de Michael Moore (Canada)

Ce sera l’un des événements cannois. Deux ans après avoir été primé pour «Bowling for Columbine», Michael Moore revient en compétition avec un documentaire qui s’annonce encore plus explosif: «Fahrenheit 9/11».

«Comment vivre aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001?», se demande Michael Moore. Mais surtout, l’Américain qui désormais concourt sous la bannière canadienne décrit les relations de longue date entre le clan Ben Laden et la famille Bush. Film d’intervention, «Fahrenheit 9/11» est clairement un manifeste pour la non-réélection de George W. Bush.

7) «Innocence», de Mamoru Oshii (Japon)

Le talent de Mamoru Oshii explose aux yeux du monde en 1995 avec son film d’animation, «Ghost in the Shell». Techniquement époustouflant avec ses décors futuristes et ses scènes d’action explosives, le film n’en dédaigne pas moins une certaine philosophie humaniste. Les frères Wachowski s’inspireront de ce classique de l’animation japonaise pour «Matrix». Mamoru poursuit son exploration des nouvelles technologies avec «Avalon», film en prises de vues réelles, retouché à plus de 75% par l’ordinateur. Le jury cannois osera-t-il primer «Innocence», un manga SF annoncé comme un chef-d’œuvre de l’animation?

8) «La femme est l’avenir de l’homme», de Hong Sang-Soo (Corée du sud)

Ses deux premiers films, «Le jour où le cochon est tombé dans le puits» et «Le Pouvoir de la province de Kangwon», exposaient les limites de l’amour adultère. Son troisième, «La Vierge mise à nu par ses prétendants», qui raconte deux versions d’une même rencontre, lui a valu une reconnaissance internationale.

Admirateur de Rohmer, Cézanne et Ozu, Hong Sang-Soo est considéré comme le chef de file de la nouvelle vague coréenne. Son cinquième long métrage, «La Femme est l’avenir de l’homme», inspiré de la phrase d’Aragon qu’il dit ne pas comprendre, a été coproduit par la société française MK2. Les Cahiers du Cinéma viennent de consacrer une rétrospective parisienne à cet auteur de 43 ans.

9) «La Nina Santa», Lucrecia Martel (Argentine)

En invitant Lucrecia Martel en compétition, Cannes entend saluer l’émergence d’un nouveau cinéma latino-américain. Très remarquée des professionnels avec «La Cienaga», la jeune Argentine devra se confronter à l’épreuve du deuxième film — tout comme l’autre femme de la compétition, Agnès Jaoui. «Film-toupie» selon les «Cahiers du Cinéma», «La Nina Santa» a tout du film d’auteur de grand standing: histoire complexe, mise en scène sûre et finesse dans l’analyse des personnages, soit un homme, une femme et la fille de celle-ci.

10) «La Conseguenze dell’amore», de Paolo Sorrentino (Italie)

C’est une des inconnues de la compétition. Personne n’a vu le film et peu de gens connaissent le nom de ce jeune réalisateur italien, Paolo Sorrentino, très talentueux, dit-on. Seul indice: son film n’aurait aucun des défauts du cinéma italien actuel, entendez excès de sentimentalité et mise en scène plus télévisuelle que cinématographique. A découvrir donc.

11) «Nobody knows», de Kore-Eda Hirokazu (Japon)

Documentariste de formation, Kore-Eda Hirokazu, 42 ans, s’attaque à son premier film de fiction en 1995 avec «Maborosi», primé à Venise. On dit le Japonais obsédé par toutes les questions liées à la mémoire. En 2001, il est en compétition cannoise avec «Distance», film étrange qui décrit un groupe d’adolescents dont les proches ont été victimes du massacre collectif d’une secte. Il revient cette année avec «Nobody knows» qui traite de son sujet de prédilection: l’impossible fiabilité du passé. Hirokazu Kore-Eda est l’un des deux Japonais de la compétition.

12) «Old boy», de Park Chan-Wook (Corée du sud)

Primé à Deauville et à Seattle en 2000, le thriller politique «Joint security area» impose Park Cahn-Wook, 41 ans, comme un des cinéastes majeur du renouveau coréen. Auparavant, il avait déjà tourné deux films de gangsters. Mais c’est avec «Sympathy for Mr. Vengeance», film noir et dense dont il a signé le scénario, qu’il s’impose sur le plan international. On admire sa bande son, ses lumières expressionnistes et son casting irréprochable. «Old boy» est son sixième film. Un polar, évidemment. Cinéphile passionné depuis l’adolescence, Park Chan-Wook a également publié plusieurs essais critiques sur le cinéma.

13) «Shrek 2», d’Andrew Adamson, Kelly Asbury et Conrad Vernon (Etats-Unis)

Les aventures du géant vert et puant avaient réjoui la Croisette il y a deux ans, puis le public du monde entier. Cette suite, dont on a déjà vu plusieurs bandes annonces, sera-t-elle aussi insolente, salace et décomplexée que le premier épisode?

14) «The Ladykillers», de Joel et Ethan Coen (Etats-Unis)

Remake du film avec Alec Guiness, «Ladykillers» vaut surtout pour la composition onctueuse de Tom Hanks en cerveau plein de tics d’une bande de malfrats. Personnages conçus comme des héros de bande dessinée (aucune psychologie, juste quelques gimmicks pour les identifier) et critique potache du sud des Etats-Unis, «Ladykillers» marque la limite des deux frères Coen, lauréats de la Palme d’Or en 1992 avec «Barton Fink». Amusant, certes, mais un peu vain.

15) «The Life and Death of Peter Sellers», de Stephen Hopkins (Etats-Unis)

Film de télévision ou de cinéma? La question ne se pose plus depuis qu’«Elephant», produit par la chaîne américaine H.B.O., s’est vu récompenser l’année dernière de la Palme d’Or. C’est la même H.B.O qui est à l’origine de cette biographie du génial acteur Peter Sellers (la série des «Panthères roses», «The Party» ou «Docteur Folamour»), réalisée par Stephen Hopkins, un des réalisateurs de la série culte «24 Heures chrono».

16) «Tropical malady», de Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande)

Coproduction franco-thaïlandaise, «Tropical malady» se présente comme la suite de «Blissfully Yours», ovni méditatif et extatique qui avait hypnotisé ou agacé les festivaliers en 2002. A peine âgé de 34 ans, Apichatpong Weerasethakul, ex-étudiant en architecture et auteur de plusieurs vidéos avant-gardistes, est d’ores et déjà la nouvelle mascotte des cinéphiles. Comme chez Wong Kar-Wai, son cinéma est moins narratif que poétique, fondé sur les rimes musicales et visuelles.

17) «La vie est un miracle», de Emir Kusturica (République fédérale de Yougoslavie et France)

Deux fois lauréat d’une Palme d’Or («Papa est en voyage d’affaires» et «Underground»), Emir Kusturica poursuit dans sa veine «chagallienne» ou de «réalisme magique» avec ce nouvel opus, dont l’action se situe dans un petit village des Balkans, en 1992, au début de la guerre en ex-Yougoslavie. On y retrouve tout ce qui fait le label Kusturica: construction baroque, exubérance musicale et ironie désespérée. Son titre en tout cas, «La vie est un miracle», résume toute l’œuvre du plus généreux et doué des cinéastes d’Europe de l’Est.

18) «Edukators», de Hans Weingartner (Allemagne-Autriche)

Dans une compétition qui compte beaucoup de jeunes cinéastes, Hans Weingartner est le benjamin, 26 ans. «Edukators», coproduction germano-autrichienne, met en scène l’acteur Daniel Brühl, révélé dans «Good bye, Lenin!». Elle raconte l’histoire de trois idéalistes qui envoient de mystérieux messages aux gens aisés de la ville: «Les années grasses sont passées.»