Quand on lui demande ce que son entrée à la Comission européenne lui inspire, la Lettone Sandra Kalniete parle de soap-opera. Un soap-opera dans lequel elle pourrait bien jouer le rôle de diva.
«Je suis née au goulag le 22 décembre 1952 dans le village de Togour, district de Kolpachevo, région de Tomsk. Mes parents n’ont pas voulu offrir d’autres esclaves au pouvoir soviétique, je n’ai eu ni frère ni sœur. Nous sommes rentrés en Lettonie le 30 mai 1957».
Sandra Kalniete, l’auteur de ces lignes, a connu un parcours hors du commun qui, du goulag, la conduira à Bruxelles.
Flashback. En juin 1941, les autorités soviétiques qui occupent le territoire de Lettonie depuis un an organisent la déportation de centaines de milliers d’innocents (à ce propos, le Musée de la Croix-Rouge consacre en ce moment une magnifique exposition photo de Carl de Keyzer sur le thème des camps de prisonniers en Sibérie). La mère et les grands-parents de Sandra Kalniete sont emmenés. La famille de son père connaîtra le même sort quelques années plus tard. Plusieurs de ses proches mourront dans l’enfer des camps.
Rentrée dans son pays en 1957, Sandra qui n’avait alors que cinq ans, n’a pas oublié le regard de sa mère quand celle-ci a pu à nouveau fouler et sentir le sol letton. Dans «En escarpins dans les neiges de Sibérie» (Editions de la Marinière), elle raconte l’histoire de sa famille et, à travers elle, celle de tout un peuple qui ne retrouvera sa liberté qu’en 1991.
Membre fondateur du Front populaire de Lettonie, mouvement contre l’occupation soviétique, et surnommée «la dame de fer», Sandra Kalniete a été un acteur politique important dans le processus de recouvrement de l’indépendance de son pays.
«Je vaincrai, tu vaincras, nous vaincrons, ils seront vaincus»: le titre donné à ses mémoires sur le Front populaire dénote la détermination de cette femme, qui est également critique d’art. Elle ne viendra pas ajouter des problèmes aux traducteurs du cénacle européen puisqu’elle parle couramment anglais, russe et français.
Sandra Kalniete commencera sa carrière en représentant son pays à l’étranger, comme ambassadrice auprès de l’ONU à Genève puis à Paris comme ambassadrice de Lettonie en France, avant d’être nommée, en décembre 2002, ministre des Affaires étrangères.
Le mois dernier, à l’occasion de la journée de la femme, elle a rappelé que son pays a toujours été à la pointe dans l’égalité entre les sexes. De nombreuses femmes y sont au pouvoir, comme la cheffe de l’Etat Vaira Vike-Freiberga et la présidente du Parlement, Ingra Udre. La Baltique sécrète des femmes fortes.
«J’avais un caractère incroyablement obstiné, écrit Sandra Kalniete. Jamais maman ne pouvait en venir à bout. Je restais sur mes positions, même après la fessée et le piquet. Aujourd’hui, je suis persuadée que ses méthodes éducatives drastiques m’ont aguerrie et m’ont appris à me battre dans la vie et à défendre jusqu’au bout mes convictions.»
«Papa est l’homme le plus éclairé et le plus posé que je connaisse. Il est mon meilleur ami, celui qui m’accepte telle que je suis — autoritaire, capricieuse, indomptable.» Voilà les futurs collègues de Sandra Kalniete avertis! L’accepteront-ils, comme son père, telle qu’elle est?
Dès le mois prochain, elle «doublera» Franz Fischler, le commissaire à l’agriculture. Une nouvelle fonction qui ne paraît en rien l’intimider. Elle entend mener à bon port des dossiers comme le protocole de Kyoto, l’énergie, la sécurité maritime et le développement durable.
Parmi les dix nouveaux venus à l’exécutif européen, la lituanienne Dalia Grybauskaite, apôtre de la rigueur financière et ceinture noire de karaté devrait, elle aussi, ne pas tarder à faire parler d’elle. Mais c’est une autre histoire…
