Dans 20 ans, plus d’un quart de la population suisse aura plus de 65 ans. De l’immobilier à la santé en passant par le travail ou l’innovation, tous les secteurs sont impactés et doivent se préparer à ce bouleversement économique et démographique.
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME.
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D’ici 2035, le nombre de retraités va augmenter de 61%, soit 900’000 personnes supplémentaires, pour atteindre 2,4 millions de seniors, selon Avenir Suisse. Presque aucun segment ne croît aussi rapidement que le marché des seniors. Apparue dans les années 2000, la notion de silver économie, ou économie des cheveux gris, se concentre sur les plus de 65 ans. Ils correspondent à la génération des baby-boomers, nés entre 1945 et 1965. À la sortie de la deuxième guerre mondiale, la natalité a explosé, nécessitant d’adapter le nombre de classes d’école à ce nouvel afflux démographique. Aujourd’hui, cette génération est à la retraite et vieillissante. Dans 20 ans, plus d’un quart de la population suisse aura plus de 65 ans, un ratio en nette augmentation par rapport à 2010, où ce chiffre ne s’élevait qu’à 18%. Il va ainsi être nécessaire de préparer le système économique, social et de santé afin de gérer au mieux cette mutation démographique.
«La société et le monde politique ont désormais pris conscience de cette augmentation massive de personnes âgées à venir dans les prochaines années, explique Sonia Pellegrini, directrice suppléante à l’Observatoire suisse de la santé (Obsan). Que ce soit en EMS ou en hôpital, la tension sur les institutions est forte, particulièrement dans les cantons romands.»
Ces nouveaux seniors continuent néanmoins d’être actifs. «La plupart des aînés sont en bonne santé, s’occupent parfois encore de leurs parents, ou ont des enfants en passe de devenir de jeunes adultes, souligne Rafael Fink, responsable du senior-lab à Lausanne. Très souvent, ils ne se reconnaissent pas dans la catégorie des seniors.» Ils restent ainsi présents sur le marché du travail, tout en ayant de nouveaux besoins. Cette génération a aussi pleinement profité des Trente Glorieuses et a pu accumuler un certain capital. «Il faut considérer les seniors non pas uniquement comme des consommateurs passifs mais comme des acteurs qu’il faut inclure dans le processus de création ou d’amélioration d’un projet. Les entreprises pourront ainsi développer des produits et des services non-stigmatisants et vraiment adaptés à leurs besoins.»
Tous les secteurs impactés
1- Le défi du logement des seniors
La douche est de plain-pied, la cuisine large, bien éclairée et dépourvue de surfaces réfléchissantes, alors que la structure de l’immeuble est pensée pour lutter contre la chaleur. Voici quelques caractéristiques des bâtiments «sans barrière», c’est-à-dire conçus et aménagés pour répondre aux besoins des personnes âgées ou à mobilité réduite.
Le marché peine encore à répondre à la demande latente pour ce type de logement. «Imposer davantage de réglementations n’est pas la bonne solution. Il faut créer des incitations, comme des bonus de surface accordée par les cantons, qui permettent d’augmenter l’espace habitable autorisé de 10% à condition que le logement soit au moins en partie d’utilité publique, explique David Fässler, avocat et fondateur de Fred GmbH. Créée en 2012 à Zurich, son entreprise conseille les investisseurs et les promoteurs qui cherchent à adapter les logements aux besoins du troisième âge. «Il faut également renforcer les collaborations entre les communes et les maîtres d’ouvrage en amont des projets immobiliers.»
Les investisseurs, à l’instar des caisses de pension, s’intéressent également à ce pan du marché immobilier. Basée à Berne depuis 2007, la fondation d’utilité publique Utilita investit les avoirs des caisses de prévoyance professionnelle dans l’immobilier, dont une cinquantaine de logements protégés à travers toute la Suisse. «Il s’agit encore d’un marché de niche, explique Benoît Grenon, directeur des finances de la fondation. Ces investissements ont l’avantage de produire un rendement prédictible, contrairement à ceux dans l’immobilier classique, plus spéculatifs et donc soumis aux aléas du marché.»
Au printemps 2024, la Caisse de pension de l’État de Vaud, en coopération avec les Retraites populaires, a inauguré son premier immeuble locatif destiné exclusivement aux seniors, sur le site de La Corsaz à Montreux. Doté de 18 logements, allant du studio au 3,5 pièces, l’immeuble dispose par ailleurs d’un espace commun pour favoriser le lien social entre les habitants. «De manière générale, la Suisse romande est en avance sur la Suisse alémanique en la matière. Les soins à domicile y sont beaucoup plus courants, ce qui réduit le nombre de personnes placées en EMS et ménage les finances publiques», estime David Fässler.
Autre enjeu de taille lié au vieillissement de la population: l’effet «lock-in», à savoir la tendance des seniors à demeurer dans un logement trop grand mais détenu de longue date pour éviter d’affronter les prix, souvent nettement plus élevés, du marché actuel. Plus de la moitié des plus de 60 ans habitent dans un logement sous-peuplé, à savoir qu’il contient au moins une pièce de plus que ce qu’il a d’habitants, selon la banque Raiffeisen. «Ces vingt dernières années, les banques ont aussi largement financé la construction d’habitations de grande taille, constate David Fässler. Conséquence: certaines régions manquent de petits logements attractifs et abordables pour les seniors.»
2- Anticiper les besoins de santé
Le vieillissement de la population implique une augmentation des besoins en infrastructures – EMS, logements protégés, soins à domicile –, pour les personnes fragiles et dépendantes. L’Obsan estime ainsi qu’il faudra environ 600 EMS supplémentaires d’ici 2040. Le nombre de seniors qui auront besoin de soins à domicile devrait quant à lui augmenter de moitié au cours des 15 prochaines années.
D’ici là, de nouvelles stratégies émergent, comme par exemple la possibilité d’aller dans un EMS pour un temps déterminé, par exemple dans le cadre d’une convalescence post-opératoire, avant de rentrer à son domicile. «Ces solutions pourraient soulager la tension actuelle dans les hôpitaux, qui manquent de plus en plus de place.» Les institutions vont devoir développer, entre autres, leurs services de médecine interne, de gériatrie et d’oncologie, mais aussi de rhumatologie et de soins palliatifs.
Se pose alors la question du personnel soignant, qui fait déjà face à une pénurie: sur la période 2019-2035, il faudra engager 44’500 personnes supplémentaires pour les soins des seniors en institution. «Augmenter le nombre de places de formation et donner envie aux jeunes de s’engager dans la santé est souhaitable, appuie Clémence Merçay, spécialiste des questions de personnel à l’Obsan. Une fois formé, le défi pour les établissements est de parvenir à garder ce personnel qualifié, par exemple en améliorant les conditions de travail, en garantissant une dotation adéquate ou en améliorant la reconnaissance salariale.»
L’augmentation du nombre de personnes âgées va mécaniquement provoquer une augmentation des coûts de la santé. L’âge n’est néanmoins pas le facteur prédominant puisqu’il «est à l’origine de 20 à 30% de l’augmentation des coûts. Le reste est dû à l’évolution technico-médicale, qui entraîne une spécialisation croissante, des examens plus onéreux, et davantage de traitements différents disponibles.»
Certaines personnes âgées aussi vont préférer rester à leur domicile ou celui d’un proche. «La conciliation de la vie professionnelle et les obligations familiales pèse lourdement sur les proches aidants, qui sont encore majoritairement des femmes.» Une solution serait de repenser l’aménagement urbain et de promouvoir la mixité sociale, «afin que les seniors puissent garder leur autonomie en ayant accès, dans un rayon de faible distance, à tous les services nécessaires. Les synergies multigénérationnelles renforcent les communautés et renforcent le lien social, essentiel au bien vieillir.»
3- De précieuses ressources seniors
Depuis qu’il a passé la barre record des 100’000 fin 2021, le nombre de places vacantes stagne à des niveaux particulièrement élevés en Suisse. Et le phénomène ne faiblira pas ces prochaines années avec le départ à la retraite des baby-boomers. D’ici 2040, au moins 430’000 travailleurs viendront à manquer sur le marché du travail helvétique, selon Economiesuisse. La création de bonnes conditions pour l’emploi jusqu’à l’âge de la retraite et au-delà constitue ainsi l’un des quatre champs d’action de la Confédération pour pallier cette pénurie croissante de main d’œuvre.
De plus en plus d’entreprises reconsidèrent la valeur des travailleurs âgés. Fini, le temps où les employés de plus de 50 ans peinaient à changer d’emploi ou à en retrouver un après un licenciement. «L’enjeu consiste aujourd’hui à conserver cette précieuse ressource le plus longtemps possible, et éviter qu’elle ne parte ailleurs», souligne Costantino Serafini, responsable du programme AvantAge Suisse romande. Cette initiative de Pro Senectute propose, entre autres, d’accompagner les RH dans la mise en place de mesures pour maintenir l’employabilité des seniors. Et la demande explose. «Il s’agit notamment de les aider à adapter les cahiers des charges en fonction des envies et des facultés de ces personnes, qui ne sont pas les mêmes qu’à 30 ans. Au chapitre de la diversité, les employeurs qui proposent des plans pour les seniors ont désormais une longueur d’avance.»
Les formations continues et un management intergénérationnel se révèlent également indispensables afin de garantir une collaboration fluide entre tous les employés. Publié en automne 2023, le dernier Baromètre des générations de la Haute École de Lucerne (HSLU) indique une volonté des jeunes et des moins jeunes d’en apprendre l’un de l’autre. «C’est une très bonne nouvelle, mais les entreprises doivent gérer cette opportunité de manière active afin d’en faire un véritable avantage concurrentiel», détaille Gabrielle Wanzenried, co-auteur et professeure en finance et durabilité à la Haute École d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD).
Aujourd’hui, environ un quart de la population travaille au-delà de l’âge de la retraite en Suisse, selon une récente étude menée par Swiss Life. En outre, près de la moitié des travailleurs âgés de 50 à 64 ans se dit prête à envisager cette possibilité si sa santé le lui permet et les conditions de travail correspondent à ses attentes. «À l’avenir, il s’agira de repenser la vie professionnelle de la population de manière globale, en envisageant notamment une réduction du temps de travail progressive avant la retraite ou de nouveaux modèles de travail, par exemple avec un lissage du temps sur toute la durée de l’activité professionnelle, afin de pouvoir garder les ressources d’autant plus longtemps», conclut Gabrielle Wanzenried.
4- Consommer comme un senior
Les dépenses de consommation des seniors pourraient atteindre 7 milliards de francs en 2040 par an en Suisse, contre 4 milliards aujourd’hui, selon Statistique Vaud. Groupe hétérogène en matière de capacités physiques et financières, les seniors ont néanmoins pour caractéristique commune de consacrer une part plus importante de leurs revenus que les actifs aux loisirs. Leur consommation est souvent financée par l’épargne, ce qui implique qu’ils dépensent moins, mais disposent de plus de temps pour voyager et expérimenter différentes activités.
«Les loisirs représentent entre 30% et 40% du budget des ménages retraités», indique Alexander Widmer, responsable de l’innovation et des politiques au sein de Pro Senectute Suisse. Les 60 à 74 ans visitent plus souvent les musées et théâtres que le reste de la population. Cependant, ils fréquentent moins les cinémas et les salles de concerts. Côté bien être, le vieillissement de la population stimule la demande en produits cosmétiques naturels, d’après le bureau d’analyse de marché Mordor Intelligence. À partir de 75 ans, les seniors privilégient les rencontres entre amis à l’extérieur, les excursions ainsi que les travaux manuels et le bricolage.
Les habitudes de consommation d’une société vieillissante auront des répercussions sur la structure de l’économie. La part des services de soins et de santé privés va largement croître. À l’inverse, le poids du commerce de détail et de l’automobile, de l’immobilier et de l’hôtellerie-restauration dans l’économie globale diminuera d’un à deux points de pourcentage d’ici 2060, selon une étude mandatée par le SECO.
«Ces secteurs peuvent toutefois s’adapter aux besoins des seniors, dit Alexander Widmer. Il est par exemple possible pour les banques d’élargir leur offre en proposant des services axés davantage sur la préparation de l’héritage. La restauration pourrait elle aussi tenter de stimuler la demande en proposant des portions plus légères pour accommoder leur clientèle issue du troisième âge.»
Dans ses voyages, le senior part en moyenne moins en vacances, mais dépensera plus lors de ses séjours notamment en raison d’un standing généralement plus élevé. En Suisse, les touristes seniors sont à 65% des nationaux, d’après Suisse Tourisme. Ils recherchent en priorité les montagnes, la nature et la détente, la facilité d’accès constitue ainsi un critère majeur dans leur choix de destination. Lorsqu’ils séjournent en Suisse, près de 45% des seniors logent à l’hôtel, 23% séjournent dans un hébergement non-marchand et 18% louent un appartement. Airbnb se concentre d’ailleurs sur cette catégorie d’âge, qui dispose souvent de biens immobiliers. Ils représentent par exemple 20% des hôtes en France, un taux en constante augmentation depuis 2017.
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Se sentir vieux de plus en plus tard: Le «sentiment d’être vieux» se perçoit de plus en plus tard en Suisse. Cette impression subjective apparaît vers 80 ans aujourd’hui, alors que dans les années 1990 il débutait vers les 69 ans, selon la deuxième édition du Panorama de la société suisse dédiée au vieillissement, publiée par l’OFS en septembre 2024.
Travail bénévole: Près de 25% des 65-74 ans ont une activité bénévole dans le cadre d’une association ou d’une institution. Cette main d’œuvre non-rémunérée représente une force de travail sous-estimée. Ces personnes s’engagent à 40% de manière informelle, par exemple pour aider d’autres personnes âgées, mais aussi pour garder leurs enfants ou petits-enfants, selon le dernier rapport de l’OFS (2024).
Santé améliorée: La part de personnes âgées de 65 ans et plus se sentant en bonne et très bonne santé passe de 56% chez les Suisses sans formation post-obligatoire à 82% pour les détenteurs d’une formation de niveau tertiaire, selon l’étude intercantonale de l’Obsan.
Manque d’actifs: Il manquera près de 150’000 travailleurs actifs entre 2023 et 2029 pour compenser le vieillissement de la population. En effet, selon les calculs du centre de compétence pour la démographie à Bâle, 788’000 personnes auront 65 ans entre d’ici 2029, alors que le nombre de jeunes atteignant l’âge de 20 ans sera de 640’000 sur la même période.
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Retrouvez la deuxième partie du dossier demain.