LATITUDES

TDAH à l’âge adulte: une souffrance difficile à déceler 

Souvent masqué par d’autres pathologies psychiatriques ou des dépendances, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité reste difficile à diagnostiquer chez l’adulte. Il émerge fréquemment à la suite d’une crise qui en a amplifié les symptômes.

«Il m’arrivait de partir au milieu d’une conversation car des pensées intrusives m’avaient fait oublier que quelqu’un me parlait.» Surnommé «nuage» à cause de son côté «tête en l’air», Éric, 33 ans, se souvient avoir été un jeune adulte qui oscillait entre difficultés à gérer son quotidien et comportements excessifs. «Je n’étais jamais le premier à rentrer de soirée, et me mettais parfois en danger dans ma pratique sportive. Profession­nellement, je pouvais me disperser en faisant six tâches à la fois, ou travailler jusqu’à l’épuisement lorsqu’un projet m’intéressait.»

Impulsivité, problèmes de concentration, tendance à procrastiner ou, au contraire, hyperactivité: présentes à un degré léger, ces difficultés concernent tout le monde. Mais elles peuvent relever d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyper­activité (TDAH) lorsqu’elles ont un impact trop important sur le fonctionnement à la fois social, scolaire ou pro­fessionnel d’une personne.

En Suisse, entre 3 et 7% des enfants et adolescent-es souffrent de TDAH, selon la Revue médicale suisse. Dans 60% des cas, les symptômes persistent à l’âge adulte. «Jusqu’à ce jour, le TDAH de l’adulte restait encore trop rarement diagnostiqué», indique Caroline Menache Starobinski, neuropédiatre au centre de consultation TDAH de la clinique des Grangettes, à Genève. «L’amélioration des connaissances sur les différentes formes du TDAH et sur son évolution après l’adolescence permet désormais de le détecter plus précocement.»

Méthodes compensatoires

S’il n’est pas identifié durant l’enfance, un TDAH est d’autant plus difficile à déceler à l’âge adulte. Afin de respecter les normes et règles sociales et professionnelles, de nombreuses personnes vont tenter de réfréner leurs symptômes, optant même parfois pour un métier peu répétitif, où leur trouble les gênera moins. «Vers 20 ans, j’ai voulu rentrer dans le moule, ‹ devenir normal ›, confirme Éric. J’ai essayé de me contenir, notamment au travail, par crainte d’émotions ou de réactions trop vives ou déplacées.»

Endiguer ses symptômes exige cependant des efforts constants, qui peuvent entraîner d’importantes répercussions sur la santé mentale des personnes concernées. «À terme, ces méthodes compen­satoires entraînent un épuisement psychique», explique François Candaux, responsable de la Consultation spécialisée TDAH adulte et médecin associé au CHUV.

Comorbidités et héritabilité

Dans 80% des cas, les patient-es atteint-es de TDAH présentent d’autres pathologies psychiatriques au cours de leur vie telles que dépression, trouble bipolaire, anxiété, et trouble de la personnalité borderline. Ces individus sont aussi plus à risque de développer un burn-out ou des addictions. «Des prédispositions génétiques augmentent probablement la prévalence de ces troubles chez ces patient-es, précise Caroline Menache Starobinski. Cependant, en raison de ces comorbidités, les symptômes du TDAH sont souvent mis sur le compte d’une autre pathologie, ce qui peut entraîner un retard de diagnostic de plusieurs années.»

Des facteurs génétiques jouent en outre un rôle très important dans l’apparition du TDAH. Il est rare de n’avoir qu’une personne atteinte dans une même famille. «Je pensais que mon côté hyperactif venait de mes origines familiales, qu’il était normal d’avoir 30’000 idées dans la tête et de tout faire au dernier moment, sous la pression d’une échéance imminente», raconte Clara*, qui a reçu le diagnostic à 34 ans, à la suite d’un burn-out. La neuro­pédiatre Caroline Menache Starobinski constate que le diagnostic du TDAH chez leur enfant conduit de nombreux parents à prendre conscience qu’ils souffrent du même trouble. «Les grilles de lecture concernant certains comportements ne sont pas les mêmes dans une famille dont des membres souffrent d’un TDAH que dans une autre où ce n’est pas le cas», dit François Candaux.

Traitement évolutif

Depuis deux ans, le Service de psychiatrie générale du CHUV dispose d’une Consultation spécialisée TDAH pour les adultes. «Cela a permis d’officialiser les investigations réalisées à l’Unité d’accueil et d’interventions brèves», se réjouit son responsable. Les patient-es sont envoyé-es par leur psychiatre-psychothérapeute. La plupart arrivent en situation de crise car un événement – l’entrée à l’université, un premier travail, le fait de devenir parent, un divorce, etc. – a exacerbé leurs symptômes. Les spécialistes du CHUV peuvent alors poser un diagnostic et commencer un traitement approprié.

Les psychostimulants comme le méthylphénidate peuvent atténuer les troubles de l’attention et d’hyperactivité-impulsivité. «La détermination du schéma de prise peut prendre du temps, mais ces médicaments fonctionnent bien dans 75% des cas», précise François Candaux. Ayant reçu le diagnostic il y a deux ans, Éric a pu suivre une discussion de A à Z pour la première fois grâce à la Ritaline et «en a eu les larmes aux yeux».

La finalité du traitement ne consiste cependant pas à prendre ces médicaments à vie. «Il s’agit en parallèle de développer de nouveaux réflexes avec l’aide d’une prise en charge psycho­thérapeutique», souligne François Candaux. La thérapie cognitivo-comportementale permet par exemple de mettre de nouvelles stratégies en place. «Cette thérapie m’a donné des solutions con­crètes pour gérer mon déficit de l’attention, confirme Clara. En divisant par exemple une tâche comme le rangement d’une pièce en plusieurs petits objectifs, je réduis le risque de me déconcentrer.»

*Prénom d’emprunt

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L’impact des hormones

La fluctuation hormonale des œstrogènes et de la progestérone durant le cycle menstruel et la ménopause est à l’origine d’une augmentation de la sévérité des symptômes du TDAH. Les liens entre la variation du taux de ces hormones dans le sang et la variation des symptômes du trouble font aujourd’hui l’objet de diverses études.

Cet aspect devra aussi être pris en compte lors du suivi des patientes. « Il faut parfois adapter le traitement dans les périodes où les symptômes se manifestent de façon plus intense », souligne Caroline Menache Starobinski, neuropédiatre au centre de consultation TDAH de la clinique des Grangettes, à Genève.

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Biais de genre

Le TDAH est diagnostiqué 3 fois plus souvent chez les garçons que les filles. « Les garçons auront plus fréquemment des comportements hyperactifs et impulsifs, par définition plus visibles, et les filles des comportements plus intériorisés, sous forme de troubles de l’attention », explique François Candaux, responsable de la Consultation spécialisée TDAH adulte et médecin associé au CHUV.

Ces différences entre les genres peuvent être expliquées par plusieurs phénomènes. Les attentes de la société, notamment, ne sont pas les mêmes envers les garçons et les filles. « La littérature scientifique indique que les femmes auraient plus tendance à intérioriser leur trouble que les hommes, pris à tort pour des problèmes d’anxiété ou de dépression. De plus, les femmes présentent davantage de troubles comorbides de type anxieux ou dépressif, qui peuvent masquer le TDAH. »

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 29).

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