L’ingénieur belge qui a développé le premier serveur Web avec le physicien Tim Berners-Lee travaille toujours au Cern, à Genève, où Largeur.com l’a rencontré.
Il y a exactement dix ans, le physicien anglais Tim Berners-Lee et son collègue informaticien Robert Cailliau développaient le World Wide Web à Genève, dans les locaux du Cern (Centre européen de recherche nucléaire). Pour mieux organiser le travail des physiciens disséminés sur plusieurs continents, ils ont eu l’idée d’utiliser le réseau internet existant en définissant un protocole de communication hypertexte. Ils s’agissait de permettre aux utilisateurs de naviguer en cliquant sur des liens. La première version du HTML (pour HyperText Markup Language) était née.
Aujourd’hui, Tim Berners-Lee mène ses recherches au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et il dirige notamment l’organisation W3C qui régule le langage HTML. Son partenaire, l’ingénieur belge Robert Cailliau, 52 ans, travaille toujours au Cern, où Largeur.com l’a rencontré.
Comment jugez-vous l’évolution du Web depuis sa création?
Robert Cailliau: Pour parler franchement, je suis un peu déçu. Je ne trouve pas que le Web évolue si rapidement. Quand je pense aux pas de géants qui ont été franchis dans les années 1960 et 1970… Au fond, c’est toute l’informatique qui souffre d’un non-changement de paradygme. Les ordinateurs vont toujours plus vite mais il n’y a quasiment pas de nouvelles idées: l’architecture est toujours la même, le fonctionnement aussi. Même l’interface graphique et la souris ont été inventés dans les années 1970.
Et le Web, n’est-ce pas une invention novatrice?
Le Web a donné un formidable coup de pouce à l’informatique, un secteur longtemps réservé à une caste de gens considérés comme bizarres. Avec les pages HTML, il y avait enfin quelque chose de sexy à montrer aux médias sur des ordinateurs: des images, des animations, etc. Pourtant, nous avions simplement réunis deux éléments: un réseau qui existait déjà, internet, et une technologie qui fonctionnait, l’hypertexte. On s’est rapidement rendus compte qu’il y avait là un média interessant pour l’enseignement, moins cher et plus interactif que les documents papiers en couleur. Nous avons cependant sous-estimé l’intérêt commercial que susciterait cette technologie.
Etes-vous déçu par le développement commercial du Net?
Oui et non. Je ne supporte pas de recevoir de la pub par e-mail ou de devoir systématiquement remplir des fiches personnelles avant de pouvoir accéder à un site d’information. Je pense que c’est aux gouvernements de réglementer le réseau pour qu’il reste un espace de liberté d’expression.
Qu’est-ce qui changera internet?
Je pense que le prochain virage sera celui des micropaiements. Une foule de nouveaux services vont apparaître lorsque l’on pourra facturer à la consultation. Le Minitel français, que l’on critique souvent aujourd’hui, offre cette fonctionnalité. Le danger du Net, aujourd’hui, vient de la multiplication des standards, parce que ce sont des entreprises et non les milieux académiques qui développent la plupart des innovations (transmission de la voix, de la vidéo, etc.). Il faut des organisations très puissantes pour maintenir la disponibilité la plus large possible du système dans de telles conditions. C’est ce qu’essaie de faire Tim Berners-Lee avec le W3C.
En quoi consiste votre travail, aujourd’hui, au Cern?
Le Cern compte près de 200 serveurs Web et plus de 1000 personnes qui éditent des pages HTML … Mon job consiste à organiser au mieux cette jungle…
