Tandis que les ados s’identifient aux «11 Commandements» de Michaël Youn, les femmes de plus de 50 ans se consolent avec «Tout peut arriver» de Nancy Meyers. Deux produits parfaitement profilés, devant lesquels la critique est impuissante.
Au tableau des cotations de la critique romande, deux films font l’unanimité contre eux: «Les 11 Commandements», de Michaël Youn, et «Tout peut arriver», de Nancy Meyers. L’un et l’autre se voient taxés d’un double point noir, signe infamant de bêtise, de vulgarité et d’indigence cinématographique. Méprisés par les professionnels, les deux comédies connaissent en revanche un très beau succès populaire.
Un an après «La Beuze» (près de 2 millions de spectateurs), Michaël Youn récidive avec «Les 11 Commandements», version française de «Jackass», programme de télé-réalité sur MTV où des adolescents relèvent des défis absurdes, souvent dangereux comme, par exemple, se mettre deux kilos de crabes dans le slip.
Cette résurrection du bizutage, combiné avec une approche volontairement puérile de la sexualité, s’apparente à une forme de masochisme adolescent, masochisme sur lequel les psys se penchent avec assiduité depuis quelques mois.
Le scénario des «11 Commandements» peut tenir en un texto: le monde va si mal qu’il faut le sauver par le rire. Michaël Youn et ses cinq compères se retrouvent donc mandatés par le dieu de la blague – le bien nommé Dieudonné – pour accomplir les onze commandements qui redonneront à l’humanité le sens de la rigolade et de la déconne.
Au menu: comment jouer de la cornemuse assis sur une autruche; transformer la suite d’un palace en poulailler; s’allouer les services de Djibril Cissé; venir pirater un match de tennis joué par Amélie Mauresmo; avaler un piment; parader dans la campagne travesti en Hitler; jouer au beach-volley sous Viagra; danser la valse en tutu rose, etc.
Des performances réalisées, pour la plupart, en direct, pour de vrai, comme à la télé. Produit et distribué par Pathé, antre de Claude Berri qui s’y connaît en art moderne, le film est en train de devenir culte. Les adolescents se reconnaissent dans la volonté insensée de Michael et de ses potes à «ne pas grandir», à rester cloués à l’âge de quatorze ans. Le film flatte, sans complexe, le syndrome de Peter Pan, voire de Peter Panpan, dans son cortège assumé de régressions, plaisanteries potaches et autres extravagances de carnaval.
Si «Les 11 commandements» sont directement inspirés d’un programme de télévision, «Tout peut arriver» semble être l’illustration d’une enquête publiée dans la presse féminine. Cette comédie romantique de Nancy Meyers («Ce que veulent les femmes») a déjà remporté 100 millions au box-office américain. Pourquoi un tel succès? Parce que le film parle de ce que le cinéma prend soin de cacher: l’amour senior, la vie quotidienne des sexagénaires, leurs émotions et handicaps, leur sexualité, la contraception ménopause et la stimulation Viagra. Mais surtout Nancy Meyers, une des rares cinéastes femmes en poste à Hollywood, sait en rire – même si elle amortit l’effet de réel par beaucoup de luxe (oh la belle villa au bord de la mer!) et de raffinement (oh ces exquis Châteaux Margaux!)
Antijeuniste et antimachiste sans être féministe, le film fait du bien à tous ceux qui se sentent exclus de l’imagerie publicitaire – être jeune, beau et performant – et plus encore aux femmes qui trouvent à travers la figure de Diane Keaton, actrice à priori non liftée et non botoxée, de quoi envisager l’avenir avec enthousiasme.
Non seulement, elle réussit à dompter Harry (Jack Nicholson), grand patron de l’industrie du disque, amateur de chair fraîche entre deux infarctus, mais elle se fait courtiser par un Keanu Reeves de roman-photo, aussi galant que vaillant. L’ensemble se décline sur une B.O. très française qui fait la part belle à Trenet et Piaf, et plus généralement sur un hymne à la France tout à fait incongru en ces temps de George W. Bush. On peut rêver pire programme que celui qui consiste à boire, fumer et faire l’amour.
Si «Les 11 Commandements» et «Tout peut arriver» n’ont pas leur place dans les revues cinéphiles, la comédie de Michaël Youn et celle de Nancy Meyers sont de remarquables produits cible, d’excellents défouloirs générationnels, dont le point commun, hormis d’être à l’image de ce qu’attend leur public, est l’allusion au Viagra, béquille sexuelle dont le potentiel comique commence à être exploité.
Avec ces deux comédies plus drôles que ce qu’on peut en lire sous la plume des critiques, nous sommes de plus en plus loin du film grand public, fédérateur et familial, mais de plus en plus proches du concept télévisuel, avec sa programmation par cases. Désormais, on va au cinéma par catégorie d’âge, de sexes et d’intérêts. Du cinéma à la carte en quelque sorte. A ce jeu-là, compte tenu du vieillissement de la population, «Tout peut arriver» devrait être le premier d’une longue série vermeil.
