CULTURE

Comment assurer une œuvre d’art

Qu’il s’agisse de tableaux de maîtres, de sculptures d’art moderne ou de photographie plasticienne, les œuvres d’art doivent impérativement être correctement assurées, même si leur valeur est souvent difficile à estimer. Les conseils de Sonia Meniaï, directrice associée d’Artssurance à Genève.

«Cette sculpture va-t-elle être transportée, prêtée à des musées? Le collectionneur a-t-il pour habitude d’organiser des fêtes? A-t-il plusieurs résidences?» Voici le type de questions que pose régulièrement l’entreprise Artssurance, spécialisée dans le courtage sur mesure en assurance d’objets d’art et de valeur. Fondée en 2014, la société basée aux Ports Francs à Genève compte quatre employés. Leur rôle: faire l’intermédiaire, contre commission, entre les collectionneurs et les compagnies d’assurance. Sonia Meniaï, qui a repris la direction de l’entreprise avec Alice Surer en 2020, livre ses conseils pour protéger et assurer ces œuvres d’art.

À qui s’adressent les assurances en art?

Sonia Meniaï: Nos clients sont des collectionneurs privés, des entreprises ou des fondations privées. Ce sont aussi des acteurs du secteur public, comme les musées, les institutions et les administrations. Nous travaillons également avec les professionnels du monde de l’art que sont les galeristes, les encadreurs, les transporteurs et les restaurateurs. Les objets d’art et de valeur ont besoin d’une couverture d’assurance particulière, puisque ce sont souvent des pièces irremplaçables, issues d’un travail humain unique. Les assurer implique des spécificités qui vont au-delà des assurances ménage ou habitation.

Qu’est-ce qui peut être assuré?

Tout ce qui a de la valeur! Toute forme d’art – de la photographie à la peinture, de la sculpture aux objets design –, mais aussi des véhicules de collection, de la maroquinerie, des bateaux, des bijoux et montres, etc. Les bouteilles de vin peuvent aussi être assurées, et notamment leurs étiquettes qui permettent de prouver la valeur du cru.

Qu’en est-il des NFT?

Actuellement, aucune compagnie d’assurance d’art spécialisée n’assure les NFT. Les collectionneurs se tournent plutôt vers des couvertures cybersécurité / cybercriminalité. On estime que les NFT étant stockées sur la blockchain –réseau crypté impénétrable–, la sécurité de ses œuvres est déjà considérable.

Comment couvrir une œuvre d’art?

L’important est de souscrire à une assurance tous risques pour que l’œuvre soit protégée contre quasiment tous les risques, à quelques exceptions près telles que l’usure, la guerre ou la vermine, par exemple. Quant aux couvertures d’assurance, le client peut choisir l’option de la «valeur agréée», c’est-à-dire que la valeur d’une œuvre est déterminée au moment de la souscription du contrat entre le preneur d’assurance et l’assureur – ce que nous recommandons. Ce choix peut aussi pousser le client à trier et à répertorier davantage sa collection d’art. L’autre option est la «valeur déclarée», ce qui signifie qu’il n’y a aucun accord préalable avec la compagnie d’assurance sur la valeur des biens assurés. En cas de sinistre, c’est alors au client de prouver combien valait ses biens, ce qui peut être compliqué en cas d’incendie notamment, puisque la preuve est réduite en cendres.

Comment estimer la valeur d’une œuvre?

La somme d’assurance d’une œuvre correspond à sa valeur de marché. Les objets d’art achetés en maison de vente ayant été au préalable évalués par un expert, la facture représente donc une bonne estimation. Si la valeur de l’œuvre évolue, comme dans le cas où la cote d’un artiste augmente durablement, le prix du bien augmentera et, de facto, le montant de l’assurance aussi. En cas de doute sur la valeur d’un bien, l’idéal reste de consulter un expert – indépendant ou non –, qui analysera l’objet et fixera une valeur. Certaines grandes œuvres sont par contre inestimables. La Joconde de Léonard de Vinci, par exemple, n’a pas de valeur de marché. Ces œuvres sont alors plutôt considérées comme des biens culturels non-marchands.

Quels sont les principaux risques?

Les dégâts des eaux et les dommages accidentels, comme la casse pendant les transports, la chute, etc. On trouve également le vol et les incendies. Tous type de dégâts peuvent arriver, et parfois de manière incongrue! Ce sont par exemple les équipes de ménage qui s’encoublent dans l’aspirateur et tapent contre l’œuvre, un enfant qui gribouille sur un tableau parce que ce dernier était à sa portée, une infiltration d’eau qui ruisselle et mouille l’œuvre, une sculpture dans une foire d’art renversée par une visiteuse qui l’a heurtée avec son sac en se retournant.

Que faire en cas de sinistre?

Il faut d’abord sauver et préserver ce qui peut encore l’être (l’œuvre, le cadre, les emballages) et ne rien jeter. Faire des photos est également indispensable afin que l’expert puisse se faire une idée générale de la situation et prendre la mesure des dégâts. Un sinistre est une scène de crime au niveau assurantiel. On parle de dégât total quand l’œuvre ne peut être restaurée. Si le montant à indemniser est conséquent, un expert sera dépêché sur place afin de déterminer notamment les raisons du sinistre et s’entretenir avec les parties prenantes. En cas de dégât partiel, l’œuvre va être confiée à un restaurateur, dont le devis aura été approuvé au préalable par l’assureur.

Le client devra cependant avoir respecté le devoir de diligence. Cette clause stipule que le propriétaire de l’œuvre a fait preuve de bon sens et a tout mis en place pour protéger son bien. Par exemple, une œuvre installée au sol est admissible le temps d’un décrochage temporaire, mais constitue une erreur dans un autre contexte.

Comment est calculé le montant des primes d’assurance?

Cassons peut-être déjà un mythe. Assurer des œuvres d’art ne coûte pas si cher, surtout comparé à la valeur des biens. Les primes minimales de certaines compagnies d’assurance démarrent à CHF 250.- par année. Elles peuvent aussi s’élever à plusieurs millions, en fonction du type d’œuvre et du collectionneur. Les taux d’assurance sont quant à eux déterminés selon des facteurs objectifs comme la fragilité et la technicité de l’œuvre, sa rareté, ses conditions de stockage, sa dimension, sa matière – une huile sur toile est par exemple considérée comme moins susceptible d’être endommagée qu’une œuvre en polystyrène. Des critères subjectifs, comme par exemple la réputation publique de l’assuré, s’il est particulièrement à risque d’être attaqué ou cambriolé, peuvent quant à eux impacter la décision de souscription d’une compagnie d’assurance. Ce taux d’appréciation du risque détermine le montant de la prime d’assurance.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans Entreprise Romande.