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Le mobile crée de nouvelles formes d’inégalités

Il y a ceux qui doivent rester joignables. Et ceux qui peuvent se permettre d’éteindre leurs portables. Un livre récent étudie ces rapports sociaux téléphoniques. Intéressant.

Le prochain cheval de bataille des syndicats sera-t-il le droit à la déconnexion? C’est bien possible, car l’usage professionnel des téléphones mobiles crée de nouvelles formes d’inégalités. D’un côté, ceux qui ont le pouvoir de se débrancher, et de l’autre ceux qui ont le devoir de rester connectés.

«Qu’on me fiche la paix!», lance Yvan, l’électricien qui répare ma cuisinière. Excédé par quatre appels successifs sur son mobile, il aspire au calme. «Il y a deux ans, quand mon patron m’a mis ce satané fil à la patte, je n’y ai vu que du feu. Je crois même que je l’ai remercié. Il m’a fallu quelques semaines pour comprendre que c’était un piège.»

Quelques jours plus tard, deux livreurs à qui je propose un café déclinent, à contre cœur, ma proposition. Ils sont, eux aussi, suivis à la trace. «Fini le temps où on pouvait souffler deux minutes chez les clients! Au boulot, le portable c’est comme un fouet qui s’active à chaque sonnerie. Tout devient urgent.» Comme Yvan, ils estiment être harcelés téléphoniquement et aspirent à travailler en paix.

Ces deux exemples illustrent un nouveau type de dépendance analysé par le sociologue des usages Francis Jauréguiberry dans son livre «Les branchés du portable». En quelques années, on a vu se succéder différents usages du portable. Les premiers «branchés» décrivaient leur expérience en termes de liberté, de légèreté, d’efficacité et de maîtrise, d’autonomie et de puissance. Ils appartenaient à la caste des «happy few high-tech».

Rapidement, les mobiles ont perdu ce caractère «distinguant». Avec l’explosion des ventes, ils sont devenus à la mode avant d’acquérir leur statut actuel d’objets banals de la vie quotidienne satisfaisant aux exigences du «zapping occupationnel» et aux besoins de «cocooning téléphonique». Voilà, en raccourci, pour l’usage privé.

Dans le domaine professionnel, il a d’abord paru évident que le portable pouvait être utilisé «en liberté», en tant qu’outil de coordination et de sécurité et même comme «parenthèse privée» durant le temps de travail. Sa liaison «en dépendance» n’a cependant pas tardé à se manifester: disponibilité d’écoute permanente, outil de surveillance et de contrôle à distance.

Jauréguiberry se garde bien de verser dans un déterminisme technologique. Il souligne que «le portable n’est pas un guide comportemental: il permet, mais ne détermine pas.» La diffusion du portable ne fait, selon lui, qu’accompagner les grandes tendances de la société contemporaine, à savoir, la massification de l’individualisme, la dispersion des occupations, la fragmentation des espaces et l’accélération du temps.

Le sociologue s’appuie sur une recherche de plusieurs années auprès de centaines de branchés français dont il a recueilli les témoignages. La notion de pouvoir associé aux portables a spontanément été abordée par ses interlocuteurs sous l’angle de l’inégalité entre appelants et appelés.

Il cite l’un d’entre eux: «Ce «je peux vous atteindre partout» est une notion qui a augmenté considérablement les notions de pouvoir et d’agression.» Il y a d’un côté ceux qui ont le pouvoir de se déconnecter et donc d’imposer aux autres leur inaccessibilité, et de l’autre ceux qui doivent s’y plier.

Assisterait-on à l’apparition d’une nouvelle richesse et d’une nouvelle pauvreté au niveau communicationnel? Pas forcément. Les portables ne créent pas de toutes pièces une telle inégalité. Celle-ci dérive, précise-t-il, de la hiérarchie, des rapports de force, des statuts, en définitive des types de pouvoir déjà existants au sein des entreprises, organisations ou réseaux. La question ne consiste donc pas à considérer les portables comme producteurs de nouvelles formes d’exploitation, mais de savoir si la simultanéité télé-communicationnelle qu’ils permettent tend plutôt à renforcer les inégalités existantes ou, au contraire, à les émousser.

Il y a une dizaine d’années seuls certains professionnels de l’urgence (police, secteur médical ou pompiers) connaissaient les périodes de garde. Quelque chose de parfaitement réglementé et rémunéré.

Or, avec l’arrivée du portable, on assiste à une extension de l’urgence dans des branches de plus en plus nombreuses de l’activité économique, dépourvues de toute législation en la matière. Ainsi, les employés «nomades» (en déplacement ou géographiquement excentrés de la direction) et les «cadres fusibles», joignables en tout lieu et à toute heure, subissent-ils une mise sous tension permanente qui empiète souvent sur leur vie privée.

Le droit à la déconnexion deviendra un enjeu de mobilisations collectives; Jauréguiberry en est convaincu. La Communauté européenne semble le redouter également. Elle qui signale, dans sa «Recommandation 6c sur la société de l’information, 1997», qu’il convient d’être attentif et d’étudier «les conséquences d’une connexion permanente, le besoin de se déconnecter parfois et le droit de restreindre l’accès à certains moments tout comme «la restriction et la négociation des intrusions».

A quand la première grève des portables? Et, question subsidiaire: sera-t-elle organisée par SMS, à l’image des fameuses flash mobs?

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«Les branchés du portable», aux Presses Universitaires de France, 2003.