Ce collège des quartiers nord de Marseille a vu passer des milliers d’enfants. L’un d’eux est entré dans l’histoire de France. Une autre est devenue journaliste. Elle se souvient.
Sans doute te souviens-tu de ton école, Zinedine Zidane. Ton collège, en face de la cité où tu vivais avec tes parents, ce collège que tu as fréquenté à 12 ou 13 ans, juste avant d’entamer ta carrière de footballeur. Moi, de ton école, Zinedine, je m’en souviens encore. C’était aussi la mienne.
Dans les quartiers nord de Marseille, il y a un endroit qui s’appelle Saint-André, pas très loin d’un petit port de pêche nommé L’Estaque. Un quartier ouvrier construit de toutes pièces, à la fin du siècle dernier, près des tuileries et des carrières d’argile, et où se sont entassés plein de gens à peine débarqués du bateau.
Le collège et ta cité ont poussé bien plus tard, dans les années soixante, je crois, au milieu d’une zone un peu incertaine qui avait été utilisée par des maraîchers. Il restait de ce passé agricole d’immenses terrains vagues où, comme moi, tu as dû aller jouer.
Le collège avait été conçu dans l’urgence. Avec des matériaux qui n’étaient pas faits pour durer. Quelque part, quelqu’un avait dû considérer que c’était assez bon pour nous. Un lieu un peu incongru, avec des terrains de sport qui s’étageaient sur la colline, ouverts aux quatre vents. Depuis les fenêtres, on pouvait voir la mer. Le collège se dressait au bord d’un boulevard plongeant qui s’enflammait de rouge les soirs d’été. Jamais ailleurs je n’ai vu d’aussi beaux couchers de soleil.
C’était un collège comme il y en avait d’autres dans les quartiers nord. Surpeuplé. Je me souviens de ces jeunes profs qui ne savaient pas toujours que faire de nous. Je me souviens de notre accent, si particulier que dans tout Marseille, n’importe qui pouvait deviner notre quartier d’origine. Je me souviens de certains mots d’argot dont j’ai appris bien plus tard et par hasard qu’ils venaient de la langue arabe.
Qu’as-tu pensé de cette école, Zinedine? Il me semble que nous ignorions qu’il en existait d’autres, d’autres façons d’apprendre, d’autres façons de vivre. Souviens-toi des équipement délabrés, des portes coupe-feu couvertes de grafitti et qui battaient, les jours de mistral. Souviens-toi des vitres brisées remplacées par du contreplaqué. Souviens-toi des arbres de la cour dans lesquels, l’été, les cigales chantaient.
Tu devais être bien jeune quand le chômage a envahi ce quartier, transformant les paisibles cités ouvrières en immenses zones de misère. Sais-tu seulement qu’il fut un temps où, même là-bas, les hommes avaient du travail?
Le collège, depuis, s’est écroulé. A deux pas de là, sur la même colline, il a été décidé (par qui? pourquoi?) de construire le plus grand centre commercial d’Europe. Tout le monde semblait avoir oublié que le terrain, argileux, était instable. Alors que le centre commercial s’élevait, le collège, lui, vacillait sur ses fondations. Alors que les premiers clients arrivaient, on interdisait aux élèves d’entrer dans le collège, devenu trop dangereux.
Je me souviens de la pancarte: entrée interdite, danger. C’était mon collège, et le tien. Le collège de Zinedine Zidane. Des gens du quartier m’ont dit qu’il serait bientôt réparé.
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Sylvie Tanette, née à Marseille, vit maintenant à Paris où elle est journaliste pour plusieurs quotidiens.