En plus de deux tours jumelles dont l’aspect rappellerait le World Trade Center, les quartiers financiers de Londres projettent l’édification de plusieurs gratte-ciel. Pourtant, le marché immobilier n’a jamais été aussi bas depuis dix ans.
Deux tours en verre dressées côte à côte, défiant le ciel du haut de leur trentaine d’étages: voilà à quoi ressemble le nouveau projet de l’architecte Richard Rogers – co-auteur du Centre Pompidou à Paris et père du bâtiment très controversé des Lloyd’s dans la City – pour le nouveau centre financier de Londres, les Docklands. La demande de permis a été déposée début mars. Des Twin Towers à Londres?

La démarche est hautement symbolique et illustre bien la position politique actuelle de la Grande-Bretagne, miroir si fidèle des Etats-Unis. Le projet architectural devrait être financé par Canary Wharf Group qui possède une grande parcelle dans les Docklands. Ces doigts de verre européens, loin d’atteindre les quelque 400 mètres de feu le World Trade Center de Manhattan, seraient pourtant parmi les plus hautes tours de Grande-Bretagne.

Car malgré les attentats du 11 septembre, Londres n’a pas renoncé à faire gravir de nouveaux pics à son skyline. En toile de fond, la lutte impitoyable que se livrent les deux centres financiers, la City, en ville, et les Docklands, élevés sur les anciennes installations portuaires à l’est du centre-ville. Dans la City où les grues sont toujours en activité, l’architecte Norman Foster vient de terminer la structure extérieure du siège britannique de Swiss Re (Suisse de réassurance) qui s’ouvrira au début de l’an prochain: un étonnant bâtiment en forme de cigare, que les Londoniens ont déjà surnommé «erotic gherkin» (le concombre érotique).
Haut de 180 mètres, le concombre suisse contrastera fortement avec les lignes strictes de la Tower 42 voisine (c’est le nombre d’étages) qui est actuellement la plus haute du quartier. Elle sera bientôt détrônée par la Heron Tower, 220 mètres, siège d’une compagnie immobilière, dont les plans viennent d’être acceptés. Cette course à la hauteur, qui apparaît aujourd’hui comme une lutte d’un autre temps, est fortement encouragée par le maire de Londres Ken Livingstone et le vice-premier ministre John Prescott, bien décidés à garder les emplois dans l’étroite City (dont la superficie n’excède pas 1,6 km2 – d’où son surnom de «Square Mile») et éviter l’exode des entreprises vers la zone financière rivale.
Au bord de la Tamise, les promoteurs des Docklands, remis de leur fiasco du début des années 90, ne s’avouent pas vaincu. En plus des tours jumelles de Rogers, ils prévoient de construire un complexe de trois tours signés Cesar Pelli, l’architecte argentin qui est déjà l’auteur du gratte-ciel voisin le plus haut du pays, Canary Wharf (244 m), reconnaissable à son toit pyramidal.
Cette course vers les étoiles est d’autant plus anachronique que le marché immobilier pour les surfaces commerciales est actuellement au plus bas. Londres n’avait pas connu un creux aussi important depuis le début des années 90, lorsque le taux de locaux vides dépassait les 10%.
Selon le Centre pour la recherche économique (CEBR), Londres aura perdu fin 2003 près de 40’000 emplois en trois ans (il en restera 285’000). Une situation difficile, mais pas aussi catastrophique qu’entre 1989 et 1992, où le centre financier avait accusé la perte de 45’000 emplois (sur 260’000).
Pourquoi rêver à soigner son skyline sur un ciel aussi sombre? C’est un pari, répondent les investisseurs. Afin d’obtenir un permis de construire pour un projet comme les Twin Towers de Rogers, il faut compter 12 à 18 mois. Avec le temps nécessaire pour équiper le terrain, la construction ne pourra commencer que dans deux ans environs. «Nous sommes certains que le marché reprendra à moyen terme. Nous voulons être les premiers à proposer des surfaces commerciales», expliquent les promoteurs des Twin Towers.
Pari vertigineux? Les envolées architecturales de la ville ne sont pas à une contradiction près: Swiss Re n’érige-t-elle pas son saillant et coûteux building à 300 millions de livres alors que l’entreprise de réassurance peine à faire face aux difficultés financières entraînée par l’effondrement du World Trade Center? L’architecture permet aux capitales de ne jamais perdre la face.
——-
Journaliste établie à Londres, Christine Salvadé collabore régulièrement à Largeur.com.