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Pékin malin

Boycotter les Jeux, c’est bien. Mais surtout sans le dire et sans oublier de célébrer les médailles. Plus chinois que le Conseil fédéral, tu meurs.

Les médailles, on prend, merci. Ou plutôt non, on prend, mais sans dire merci. Le Conseil fédéral, comme nombre d’autres gouvernements occidentaux, avait, comme on le sait, décidé de n’envoyer aucuns représentants aux JO de Pékin. Mais dès la première breloque dorée acquise, -dans la plus prestigieuse des épreuves qui plus est, la descente masculine-, on a vu les membres de ce même Conseil fédéral se fendre de tweets enthousiastes et bruyamment patriotiques pour saluer l’exploit du Beat Feuz national.

Monsieur Xi et ses acolytes, il faut dire, ont mis tout le monde dans l’embarras avec leurs jeux sans neige ni public, mais avec beaucoup d’ombres, celles des Ouïghours par exemple. Y aller c’était cautionner cette farce, et boycotter c’était prendre le risque de fâcher un partenaire, client et fournisseur des plus maousses. Ce qui aurait été un peu ballot juste pour un innocent bastringue sportif.

La solution choisie par la plupart des démocraties dites libres était de ne pas boycotter, d’envoyer des athlètes, mais de bouder un peu en n’envoyant aucun représentant officiel. Ce qui a permis à un Vladimir Poutine impassible d’avoir les coudées franches dans la tribune officielle lors de la cérémonie d’ouverture.

On peut penser que ce boycott sans boycotter est plutôt de bonne guerre et assez habile. Sauf que le Conseil fédéral, lui, y a rajouté une pirouette à sa façon: pas franchement glorieuse.

Le gouvernement suisse n’a en effet pas osé dire la vraie raison de son absence et pondu un communiqué qui pourrait rester dans les annales comme un modèle raffiné d’hypocrisie, ou, si l’on préfère, un sommet de dentelle diplomatique. Dégustons: «En raison de la situation sanitaire incertaine en Suisse et des mesures de lutte contre la pandémie de coronavirus en Chine qui empêche les rencontres bilatérales substantielles et les contacts avec les athlètes suisses, le Conseil fédéral a décidé de renoncer à se rendre aux jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2022 de Pékin.»

Dans le genre gros malins, on fait difficilement mieux. Les Américains, pour justifier la même décision, ont dégainé un argumentaire d’une toute autre teneur et allure: «En se rendant aux Jeux de Pékin, la représentation diplomatique américaine traiterait ces Jeux comme si de rien n’était, malgré les violations flagrantes des droits humains et les atrocités de la Chine au Xinjiang. Et nous ne pouvons tout simplement pas faire cela.»

Le Conseil fédéral pourrait bien sûr faire valoir que les États-Unis sont autrement armés que la petite Suisse pour n’avoir pas peur de la Chine. Mais ce qui rajoute encore un peu de malaise au malaise c’est que jusqu’au dernier moment, les sept sages avaient affirmé qu’une présence diplomatique à Pékin serait assurée. Tout cela sent donc la précipitation, le manque de courage et de conviction, et ne révèle qu’un talent particulier, déjà évoqué: la fine pratique de l’hypocrisie.

Là encore le Conseil fédéral pourrait faire valoir que l’hypocrisie est après tout une arme comme une autre, qui permet souvent les avancées diplomatiques, comme aussi la paix des ménages et plus simplement la vie en société. Et que ce serait la brutale franchise qui serait source d’affrontements et de guerre.

La palme dans cet art difficile revient peut-être au conseiller d’État vaudois Philippe Leuba, qui trouve l’explication du Conseil fédéral «parfaitement objective». «Avec les mesures sanitaires à Pékin c’est très compliqué d’avoir des relations diplomatiques sur place», dit-il. Le même Philippe Leuba aurait donc été «très déçu» si le Conseil fédéral avait justifié sa décision d’absence par des raisons politiques, puisque que «la possibilité de discuter avec tout le monde» reste ce qui peut «se faire de mieux pour les droits de l’homme et la paix dans le monde».

La morale de cette histoire, c’est peut-être d’avoir au moins fait tomber une vilaine idée reçue: non, la fourberie n’est pas une exclusivité asiatique.