C’est l’histoire d’un Premier ministre systématiquement caricaturé en chien par la presse de son pays. Comment en est-on arrivé là? Explications.
Tony Blair cherche désespérément à sortir de la peau de caniche qu’il s’est mise sur le dos. Peine perdue: depuis bientôt un an, le Premier ministre britannique apparaît presque quotidiennement dans la presse de son pays sous les traits d’un chien-chien docile à la botte du président Bush, son indéfectible allié, son ami si spécial.
Tout au mieux, le caniche se mord la queue ou se débat contre ses puces rebelles (The Independent, mardi 14 janvier). Mais comment cette métaphore animalière embarrassante a-t-elle pu se substituer à celle, si reluisante, de mordant défenseur de la démocratie attribué à Tony Blair immédiatement après le 11 septembre?
Car tout allait bien pour l’éternel représentant des quadras branchés britanniques depuis sa réélection brillante du printemps 2001. Après les attentats du World Trade Center, on se souvient qu’il avait été proclamé chef mondial de la guerre contre le terrorisme, une sorte d’éminence grise de l’écervelé Bush.
Mais au fur et à mesure que grossit la critique à l’égard d’un soutien trop aveugle à la politique va-t-en guerre américaine, son personnage rapetisse et les traits de son visage sont ridiculisés dans les caricatures de la presse britannique.
L’image du caniche apparaît pour la première fois le 8 mars 2002 dans le Daily Mirror, le tabloïd le plus féroce face aux aboiements de Blair. Le Premier ministre venait d’accourir au Texas pour serrer la main du président Bush dans son ranch.
«Howdy, Poodle!» a titré le journal en première page, ce qui veut dire en américain: «Salut, caniche!» («Howdy» est une forme resserrée et américanisée de «How do you do»). En dessous figurait un magnifique specimen de chien de compagnie obéissant.
La métaphore est finement choisie. Le caniche, on le sait, est considéré comme un chien intéressant à éduquer, car il se montre généralement vivace et intelligent. Il peut-être chien de berger, guide d’aveugle, chasseur ou… animal de cirque.
Depuis mars 2002, le Mirror n’a plus lâché la bride. Peu après, il sonde ses lecteurs: 38% estiment que Tony Blair agit bel et bien en «caniche de Bush» dans la campagne contre Saddam Hussein.
Quelques semaines plus tard, le chanteur George Michael utilise la fameuse première page du tabloïd pour en faire la couverture de son dernier single, qu’il titre avec provocation «Shoot the Dog» («Tirez sur le chien»).
«Je lis les reportages du Mirror sur la guerre contre le terrorisme et j’approuve ses positions. C’est étonnant de découvrir un journalisme aussi audacieux et dérangeant dans un tabloïd», explique le créateur hédoniste de «I Want Your Sex».
Dans une interview exclusive — accordée au Mirror évidemment –, la pop star anglaise s’engage clairement contre la guerre: «Je sais que je m’aventure en terrain dangereux, mais rester silencieux n’est plus possible. Je vis en Grande-Bretagne, j’y paie mes impôts, mais je crains le pire pour mon pays.»
Début juillet, le clip vidéo de «Shoot the Dog» ancre définitivement le cliché du Premier ministre-caniche dans l’opinion publique. Diffusé en boucle dans les pubs cet été devant une clientèle hilare, le clip-cartoon montre le chiot Blair, frétillant de la queue, rapportant les missiles que lui lance George Bush sur la pelouse de la Maison Blanche.
C’est si méchant et si dévastateur que le Premier ministre tente de rappeler l’opinion en septembre, en affirmant qu’il «n’est le caniche de personne». «Je ne soutiendrait jamais quelque chose que j’estimerais incorrect uniquement par loyauté aveugle envers les Etats-Unis».
Au sommet de Johannesburg — alors qu’il aurait eu d’autres chats à fouetter –, il choisit de critiquer sévèrement la négligence de Bush envers les dangers des changements climatiques. Comme pour se débarrasser de ses puces. Mais le lendemain, dans la presse anglaise, le caniche du président est toujours là: il mord les fesses de son maître.