KAPITAL

Un whisky suisse, sinon rien

Les producteurs suisses visent le haut de gamme et se classent aujourd’hui parmi les meilleurs du monde, défiant ainsi l’Ecosse ou les Etats-Unis.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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C’est un des meilleurs whiskys du monde, et il est suisse. Le Säntis Malt, produit par Appenzeller Bier dans le canton éponyme, a été consacré en 2010 par l’International Wine and Spirit Competition. «La Suisse a tout ce qu’il faut pour être un grand pays du whisky, soutient Alexandre Delaloye, producteur du Swhisky en Valais. Une excellente qualité d’eau, les céréales nécessaires ainsi qu’une connaissance historique de la distillation et des alcools.» Le whisky suisse s’adresse plutôt à une clientèle avertie et se positionne dans le secteur du haut de gamme. Seulement 1’300 hectolitres ont été élaborés en 2019 selon l’Administration fédérale des douanes (AFD). A titre de comparaison, la France compte 15’000 hectolitres distillés la même année. Les productions étant faibles, les bouteilles sont rares et onéreuses.

La fabrication de whisky en Suisse est une histoire récente. Avant l’an 2000, le blé et l’orge étaient considérés comme des denrées stratégiques en cas de conflit. Il était donc interdit de les distiller. A la levée des restrictions, des passionnés se lancent. C’est le cas d’Alexandre Delaloye, responsable de la cave vinicole «Maison Les Vignettes» à Ardon (VS) et producteur du Swhisky. «J’ai commencé pour le plaisir, explique ce passionné d’Ecosse. Mais rapidement les demandes ont augmenté, surtout lorsque nous avons commencé à gagner des prix internationaux.» Aujourd’hui, la Suisse compte une dizaine de producteurs de whisky, situés pour la plupart en Suisse alémanique.

A la recherche des tonneaux

«A l’origine, je voulais revenir à l’essence du travail de mes ancêtres sur les bières, comme un voyage dans le temps», se souvient Karl Locher, sixième génération à la tête d’Appenzeller Bier. C’est la seule distillerie au monde à vieillir du whisky dans des tonneaux de bière. Il commence à distiller en 1999, ce qui en fait un des premiers du pays. Face au succès croissant de ce whisky appelé Santis Mält, Karl Locher s’empresse de racheter le maximum de fûts de bières. Il en trouve 4’000, en Suisse, et en Europe. Aujourd’hui la bière est fabriquée dans des cuves en acier, la production du whisky appenzellois se terminera donc inexorablement lorsqu’il n’y aura plus de fûts. Pour Karl Locher: «La technique du brassage de bière en fûts de bois n’est plus utilisée parce que trop instable et peu rentable. Nous estimons donc que nous pourrons encore produire pendant 80 ans au maximum.»

Avec plus de 10’000 bouteilles produites par an, la distillerie est une de plus importante de Suisse. Elle vend principalement sur le territoire, mais exporte quand même un tiers de sa production à l’étranger, notamment en Chine ou elle comptabilise trois points de vente.

«Un investissement au long terme»

En 2020, le whisky était le spiritueux le plus importé en Suisse, avec plus de 17’600 hectolitres, près de trois fois plus que de rhum, selon l’AFD. Plus de 70% des importations proviennent du Royaume-Uni, 15% des Etats-Unis. Les Suisses sont donc adeptes de whisky, très largement importé. Pourquoi la production locale n’est-elle alors pas plus forte? «C’est un véritable investissement de fabriquer du whisky, explique Alexandre Delaloye. Il faut compter environ 10 ans pour obtenir les premiers retours.» La distillerie Swhisky produit plusieurs centaines de litres par année et n’a pas de stocks pré-embouteillés. Alexandre Delaloye reçoit des demandes d’exportation venues du monde entier, du Japon à l’Australie en passant par le Canada. Mais l’entreprise familiale n’a pas la capacité de produire suffisamment pour répondre à ces sollicitations croissantes. «C’est un peu frustrant», reconnait-il.

Le Valaisan estime que la législation les pénalise: «La taxe (de 12 francs par litre à plus de 40° d’alcool) est prise à la distillation. Mais étant donné que nous ne pouvons vendre qu’après plusieurs années de maturation, en pratique nous devons avancer cet argent. La taxe devrait plutôt être prélevée à la mise en bouteille.»

A la manière de l’avènement des brasseries artisanales, va-t-on voir se développer plus largement les distilleries de whisky suisse? Négatif, selon Karl Locher: «Il faut en moyenne six semaines pour produire de la bière et la vendre. Pour le whisky, c’est minimum trois ans, c’est donc une entreprise largement plus risquée, qui demande des investissements sur le long terme.»