TECHNOPHILE

Des réseaux pirates ou légaux pour surfer sans fil

Regroupés en associations, les enthousiastes du wifi multiplient les antennes et offrent un accès mobile et bon marché à l’internet.

Dans le parc des Cropettes, derrière la gare de Genève, des jeunes gens surfent avec leurs ordinateurs portables, assis dans l’herbe. Ils n’utilisent pas le réseau de téléphonie mobile pour se brancher sur le net et ne paient pas les communications. Leurs laptops sont reliés à un petit réseau communautaire sans fil, une technologie baptisée wifi (pour wireless fidelity).

Des petits réseaux locaux sans fil du même genre se développent un peu partout, à Lausanne, Berne ou Bâle. L’équipement wifi n’est pas très cher. Une carte de réception à mettre dans son PC coûte environ 150 francs. Sur Mac, le système Airport est inclus d’origine sur certains modèles. Le prix de l’émetteur se situe dans le même ordre de grandeur.

On peut monter son petit réseau wifi tout seul et se contenter de relier son jardin. Mais il est beaucoup plus amusant de participer à un réseau communautaire, qui se poursuit d’appartement en appartement, de quartier en quartier. Aux Etats-Unis, les réseaux wifi sont souvent accessibles à tous, touristes de passage ou habitants du quartier. Des inscriptions à la craie sur les murs (warchalking) indiquent la présence d’un relais.

En Suisse, les associations qui gèrent les réseaux communautaires en contrôlent l’accès par mots de passe. Car, au bout du réseau sans fil, il faut payer la connexion à l’internet qui coûte quelques francs par mois. Mais divisés entre un grand nombre d’usagers, les frais se réduisent vite.

Regroupés en clubs et en associations, les «wifistes» succèdent ainsi aux «cibistes» des années 70, qui se heurtaient souvent à la législation suisse, très stricte en matière d’usage de matériel radio.

Les wifistes, qui flirtent de la même manière avec l’illégalité, craignent les appareils de détection portables, fixés sur les épaules des fonctionnaires de l’Ofcom. Car, depuis la libéralisation, c’est l’Office fédéral de la communication qui se charge de policer les fréquences.

«Les connexions radio dans cette gamme de fréquences sont légales et nous n’avons rien à dire contre le développement du wifi, dit Bernhard Bürki, porte-parole de l’Ofcom. Mais il faut que la puissance des émetteurs respecte les seuils fixés par la réglementation.» Le problème, c’est que le seuil autorisé ne permet pas de couvrir une zone très large. Pour augmenter la qualité de la réception et de la couverture, les wifistes achètent souvent à l’étranger du matériel plus performant, des émetteurs puissants ou des antennes directionnelles.

«L’importation de ce matériel est illégale, et certains envois se font pincer à la douane, avertit Lucio Cocciantelli, ingénieur en radiocommunication à l’Ofcom. L’usage est pénalisé encore plus lourdement, théoriquement jusqu’à un maximum de 100000 francs.» Dans la pratique, l’office est plus souple, et les amendes ne dépassent pas les quelques milliers de francs. De plus, l’Ofcom n’intervient pas spontanément mais uniquement sur plainte, par exemple si l’émetteur wifi perturbe la télévision ou le téléphone mobile du voisin.

Swisscom aussi

Jusqu’ici opérés uniquement par des passionnés et des associations à but non lucratif, les réseaux wifi intéressent de plus en plus les opérateurs. Ainsi, Swisscom présentera à la foire Orbit de Bâle, à la fin du mois, son projet baptisé «Public Wireless Lan», qui n’est autre qu’un réseau wifi payant installé dans une centaine de lieux publics (hôtels, centres de congrès, aéroports et gares) d’ici à la fin de l’année.

La facturation se fera par l’intermédiaire d’un numéro de mobile (si l’on est abonné au Natel) ou au moyen d’une carte téléphonique. Les associations craignent que le maous puisse, grâce à son statut national, bénéficier de faveurs de l’Ofcom et utiliser ainsi des émetteurs wifi plus puissants que les autres. Les intéressés s’en défendent pour l’instant. Quoi qu’il en soit, à tous les niveaux, les émetteurs payants du géant viendront perturber les petites initiatives idéalistes et locales.

Des réseaux à Genève et Lausanne

L’association SFNet a lancé son réseau il y a quelques mois. Elle compte un trentaine de membres et propose des liaisons à des prix avantageux. «D’autres quartiers montent des réseaux similaires et nous les aidons pour les interconnecter ensuite avec le nôtre, explique Denis, l’un des fondateurs de SFNet. Nous espérons couvrir ainsi une bonne partie de la ville.» Les relais permettent de couvrir l’Ilot 13, la rue de Montbrillant et une bonne partie du parc des Cropettes, derrière la gare de Genève.

SFNet n’utilise que du matériel légal. «C’est justement l’une des originalités de notre initiative, poursuit Denis. Nous voulons étendre notre réseau au maximum, en toute légalité, et rendre l’internet accessible à un maximum d’usagers pour un coût minime.»

A Lausanne, le réseau baptisé Saitis relie une trentaine d’usagers qui se partagent les frais. Ce collectif existe depuis trois ans et exploite essentiellement des lignes louées qui réunissent plusieurs parties de la ville. «Nous utilisons le wifi pour relier quelques usagers décentrés et, notamment, pour des opérations temporaires comme la retransmission en direct d’un concert en Realvideo, explique Nicolas Desir, cofondateur de Saitis. Pour ce genre d’opération, nous utilisons des antennes directionnelles qui dépassent allégrement les seuils autorisés. Mais ce n’est que pour une période limitée.» Ainsi, l’Ofcom n’a pas le temps de les localiser.

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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 22 septembre 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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